Cas de conscience nietzschéens

Dans Le crépuscule des idoles, Nietzsche expose quatre cas de conscience que chacun devrait prendre en considération afin de faire le point sur sa vie.

Tu cours devant les autres ? — Fais-tu cela comme berger ou bien comme exception ? Un troisième cas serait le déserteur… Premier cas de conscience.

Le déserteur : c’est le rêve du misanthrope qui cherche les moyens d’échapper au monde. La course au pognon fait partie de ce jeu de dupes – ou de pingouins.

Comme exception : c’est l’idéal aristocratique, qui se place au-dessus de la mêlée. Dans Intouchables, le personnage du multi-millionnaire tétraplégique, héritier d’une grande famille, joué par François Cluzet, déclare : « nous, on nous a toujours dit qu’on était là pour chier sur le monde ».

Intouchables
Quand on est assis, il faut effectivement que le monde soit couché pour pouvoir lui chier dessus

On retrouve ce genre de posture cynique chez nos plus ou moins nouveaux riches, qu’ils soient les rois de l’acier, du mazout ou du silicium.

Enfin, comme berger : je crois bien qu’il ne nous reste que cette option. Mauvaise nouvelle: c’est du travail, et il n’est pas rémunéré.

 

Es-tu vrai ? ou n’es-tu qu’un comédien ? Es-tu un représentant ? ou bien es-tu toi-même la chose qu’on représente ? En fin de compte tu n’es peut-être que l’imitation d’un comédien… Deuxième cas de conscience.

Y a-t-il cohérence entre soi-même et la vie que l’on mène ? Y aurait-il cohérence entre ce que l’on prône, si cela devait se réaliser, et la vie que l’on adopterait ? Est-on simplement un comédien, c’est-à-dire est-on le propagandiste d’une cause factice qui n’est qu’un moyen d’entrer et de rester en scène ? Un professionnel qui vit par et non pour cette cause.

Un représentant ou un représenté ? Nécessairement les deux, il me semble ; mais mieux vaut alors se représenter soi-même, pour mieux savoir représenter les autres, c’est-à-dire les présenter à eux-mêmes.

L’imitation d’un comédien ? Peut-être une parodie, une mise en abîme ? Si Dieu veut se rire de nous, on sait ce qu’il reste à faire : affronter les causes qui nous animent, et les conséquences qu’elles entraînent.

 

Es-tu de ceux qui regardent ou de ceux qui mettent la main à la pâte ? — ou bien encore de ceux qui détournent les yeux et se tiennent à l’écart ?… Troisième cas de conscience.

Il n’y a qu’une seule excuse pour ceux qui détournent les yeux et veulent se soustraire à leurs responsabilités : être le plus faible, être si faible que sa survie dépend de sa résignation à ne rien faire, ne pas bouger, être oublié, disparaître. Oui, le faible ou le fragile dispose du droit de se recroqueviller et d’ignorer le monde pour être ignoré de lui. Mais un instant seulement : une fois l’orage passé, une fois l’hiver fini, il devra reprendre des forces. Pour les autres : agir, agir, agir ! Ou mourir de honte !

Quant à ceux qui regardent sans bouger, spectateurs du désastre, voyeurs pervers, innocents les mains pleines, Ponce Pilate en puissance : c’est que la société du spectacle les a médusés, ou que leur cœur a été remplacé par un mécanisme de comptage.

 

Veux-tu accompagner ? ou précéder ? ou bien encore aller de ton côté ?… Il faut savoir ce que l’on veut et si l’on veut. — Quatrième cas de conscience.

Il faut d’abord aller de son côté, c’est-à-dire trouver son côté, s’extraire de toutes les conjonctures, de toutes les prédispositions et de tous les héritages.

Ensuite, se possédant soi-même et débarrassé de la gangue dans laquelle on s’était vu naître et grandir, on peut se resituer dans le monde. Dans ce cas, on sera apte à décider, en fonction de la situation, d’accompagner un mouvement ou d’être en devoir d’en inventer – de précéder.

En 2015, en France : il n’y a rien à accompagner, mais beaucoup à abandonner et tout à construire – à condition de savoir ce que l’on veut. Enfin, pour répondre à l’interrogation du « si l’on veut » : retour au premier cas de conscience.

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