Ironie et ricanement (2) : un exemple pontifical

J’ai décrit ici le fossé qui sépare l’ironie du ricanement. En voici une illustration.

Dans une réaction à chaud dans le cadre des actes terroristes ayant touché Charlie Hebdo, le Pape François aborde la question de la liberté d’expression et du respect des religions. Il déclare :

Le pape Benoît, dans un discours, avait parlé de cette mentalité post-positiviste, de cette métaphysique post-positiviste qui menait à croire que les religions, ou les expressions religieuses, sont une espèce de sous-culture : elles sont tolérées mais elles sont peu de choses, elles ne sont pas dans la culture des Lumières.

C’est un héritage des Lumières: il y a tant de gens qui parlent mal des religions, qui s’en moquent, qui jouent avec la religion des autres.

Il s’agit d’un raisonnement anachronique qui concerne à la fois Benoît et François (qui reprend ses propos) et ceux qui croient se faire héritiers des Lumières en fustigeant les religions (quelles qu’elles soient).

Pour les uns comme pour les autres, il faut rappeler le contexte historique précis antécédent au siècle des Lumières : à savoir la primauté et l’intransigeance de la religion dans les mœurs et la politique, et sa complicité avec des pouvoirs corrompus asservissant les peuples.

Un âge sombre, obscurantiste, qui par contraste fait naître cette expression de philosophie des Lumières, qui manie l’ironie pour se frayer un chemin périlleux (car critique du pouvoir dominant) et faire émerger la raison.

Point de ricanement, point de moquerie de bas étage envers la pratique privée de la religion, mais un combat intellectuel et politique pour la liberté.

Un combat qui débouche sur une théorie universelle des Droits de l’Homme qui s’oppose moins aux croyances religieuses en tant que telles qu’en la mainmise du clergé (complice de l’aristocratie) sur la société. Un combat qui change profondément la nature du pouvoir politique, inspire la révolution de 1789 et fonde la première constitution de la République française.

Comment dès lors peut-on affirmer que « parler mal des religions, s’en moquer, jouer avec la religion des autres » est un héritage des Lumières ?

Certes, certains s’en revendiquent, mais ils n’ont rien compris : puisque aujourd’hui « les religions, ou les expressions religieuses, sont une espèce de sous-culture », être un héritier des Lumières n’est pas s’attaquer à elles (aucune raison de tirer sur l’ambulance), mais continuer à attaquer les puissances dominantes par cet acte irrévérencieusement libérateur qu’est l’ironie.

Et ce qui nous domine aujourd’hui, c’est l’argent roi et le cynisme (ou incroyance, ou nihilisme, ou relativisme). Ce qui ne veut pas dire que l’on doive défendre de vieilles religions : laissons-les là où leur dévoiement les a conduites, qu’elles se sauvent d’elles-mêmes !

Quant au pouvoir religieux soutenu et instrumentalisé par des despotes de toute sorte (rois, dictateurs, ou putschistes d’Afrique, du golfe Persique et d’ailleurs), ne laissons pas croire qu’il s’agit d’un problème religieux : c’est avant tout un problème politique et démocratique qui se dissimule derrière les oripeaux d’une prétendue foi religieuse. Il en va de même des terrorismes, qui ne sont que le bras armé de pouvoirs temporels : ils ne représentent en rien l’expression d’une spiritualité authentique – mais au contraire émanent d’un profond nihilisme (ou relativisme).

 

Bien identifier ces nouveaux maîtres pour s’en moquer (ironiser) et établir de nouvelles valeurs progressistes (et ne pas se contenter de ricaner stérilement), c’est bien là je crois être un digne héritier des Lumières !

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