Plasticité du cerveau

Étant donné que je ne suis ni neurochirurgien ni neurobiologiste, je ne vais pas m’étendre sur un éventuel état de l’art scientifique de cette discipline, mais j’aborderai ce sujet sous l’angle fondamental de la compréhension de notre subjectivité et de notre responsabilité en tant qu’individus capables de libre arbitre :

La plasticité neuronale

Cerveau
Cerveau en mouvement : tempête sous un crâne

J’ai déjà affirmé ici pourquoi toute notre production mentale (que l’on appelle pensée) est subjective.

La neuroscience nous permet d’aller plus loin dans cette affirmation, avec le concept de plasticité neuronale.

Dans cet article (d’où est tiré le schéma ci-dessus), on peut lire que :

Les connexions cérébrales sont des autoroutes neuronales dévolues à la transmission des informations entre les différentes zones du cerveau. Ces connexions peuvent atteindre jusqu’à 25 centimètres de longueur, et l’information y circule jusqu’à 500 km/h. Le nombre de connexions cérébrales chez l’homme est estimé à 100 billions, soit 100 000 000 000 000.

Le cerveau établit physiquement des réseaux neuronaux entre ses différentes zones.

Lorsqu’une tâche est automatisée, les réseaux neuronaux qui sont mobilisés sont ceux que les chercheurs qualifient d' »autoroutes neuronales ». « Ces réseaux permettent deux types d’attention. La concentration dirigée, volontaire et un peu lente d’un côté. Et l’attention automatique, intuitive et très rapide de l’autre », explique Michel Thiebaut de Schotten, chercheur à l’Inserm.

 

En ce qui concerne l’attention automatique, on pourrait la qualifier de pouvoir de distraction. Elle est utile car c’est elle qui nous alerte de dangers immédiats et garantit la vitesse d’exécution pour les éviter. Mais elle est distraction car elle vient s’opposer à la canalisation de la concentration, nécessaire à l’accomplissement de tâches complexes.

Mais, nous dit l’article,

il y a aussi une raison hormonale à nos inattentions. Le neurobiologiste américain Daniel Levitin a étudié ce que fait notre cerveau quand il se laisse distraire. Lorsque survient un événement nouveau, le système de récompense s’active et émet de la dopamine, et nous nous sentons bien.

D’où le plaisir que nous ressentons au zapping permanent, qui agit comme autant de shots de dopamine.

A contrario, selon une expérience du célèbre psychologue hongro-américain Mihaly Csikszentmihalyi décrite dans cet article, la concentration est aussi une source de satisfaction forte :

Cinq mille personnes, âgées de 8 à 88 ans, vivant dans 83 pays différents, ont été équipées d’un bipeur qui sonnait à des moments aléatoires de la journée. À chaque appel, les cobayes devaient dire ce qu’ils étaient en train de faire, préciser s’ils étaient concentrés sur ce qu’ils faisaient et donner des indications sur leur humeur. Les résultats ont été univoques. Plus les participants étaient engagés dans leur tâche avec une attention soutenue – et quoi qu’ils fassent, même éplucher des pommes de terre ou résoudre des équations à deux inconnues -, plus leur satisfaction était élevée. C’est ce que cette équipe de scientifiques a nommé l’« expérience optimale », un état de « concentration pure où toute notre énergie mentale est canalisée dans un flux jubilatoire ».

A nouveau, il s’agit d’un afflux de dopamine :

Focaliser son attention fait du bien parce que cet effort libère dans notre cerveau un flot de dopamines

On a donc, d’un côté, des shots de dopamine rapidement consommés, et de l’autre, une forme de dopamine en intraveineuse, à diffusion lente et prolongée.

Dans les deux cas, nous sommes influencés par la satisfaction procurée par la libération d’hormones du bien-être : premier élément de subjectivité. Mais nous pouvons choisir sous quelle forme la dopamine nous est administrée : zapping et distractions incessantes, ou au contraire concentration approfondie. Donc, une forme de libre arbitre.

 

Deuxième point,

Un des principes fondamentaux du fonctionnement de la neuroplasticité est lié au concept d’élagage synaptique, l’idée que les connexions entre les neurones sont constamment éliminées lorsqu’elles ne sont pas utilisées. À l’inverse, ce mécanisme renforce les connexions très utilisées.

Donc, les susnommées « autoroutes neuronales » sont fabriquées en fonction de l’usage que l’on en fait. Ce qui en fait à la fois un élément de subjectivité (puisque je suis contraint par l’état de mes neurones) et de liberté (puisque je peux décider d’exercer mes neurones pour les rendre plus aptes à une activité particulière).

La cartographie de notre réseau de 100 billions de connexions neuronales définit autant ce que nous sommes que notre génome. Comme je ne peux croire, faute de preuve tangible, à l’existence de l’âme ou de tout autre corps immatériel qui serait à la fois étranger à nous et qui serait nous, j’en conclus que ce qui définit un homme (ou tout animal comparable), c’est son héritage génétique et ses neurones.

Sur l’héritage génétique, pas grand chose à faire (pour le moment…) : nous le recevons et en prenons notre parti toute notre vie.

Mais en ce qui concerne nos neurones, la plasticité permet l’expression de notre liberté. Le conditionnement peut être transformé. Certes, on a subi notre éducation, l’apprentissage de notre langue maternelle, nos relations avec autrui, ou encore des événements marquants : autant de vécus qui ont laissé des traces et déjà transformé notre réseau neuronal.

Y a-t-il alors une vie propre du cerveau, indépendante de notre volonté ? Est-ce que cette vie est dominée par l’instinct de survie, par la volonté de puissance, ou autre chose ? Qu’est ce que l’on nomme « inconscient » ? A quel point nous pouvons comprendre et dominer cet inconscient ? Est-ce réellement le travail de la psychologie, ou plutôt de la neurobiologie ?

Qu’est-ce qu’un rêve, ou un cauchemar, sinon notre cortex qui travaille et se modifie de son propre chef, sinon des éclairs dans la nuit (potentiels électriques de nos synapses) qui font et défont nos liaisons neuronales?

Car l’inconscient est une force qui est régie par l’état de nos liaisons synaptiques et qui régit leur changement d’état. C’est pourquoi chaque individu sera différemment, personnellement « touché » par le même événement vécu (à supposer qu’un « même événement » puisse jamais être vécu par deux individus).

Le cerveau, forgé par la naissance et l’ensemble des événements qui s’ensuivirent, nous influence et nous trompe en nous faisant prendre des « raccourcis décisionnels » (les intuitions et les peurs, qui peuvent s’exprimer en « TOCs ») dont nous ne pouvons que rarement déceler les origines (puisque l’on parle alors d' »inconscient »). Julian Jaynes décrit ainsi l’inconscient :

It is like asking a flashlight in a dark room to search around for something that does not have any light shining upon it. The flashlight, since there is light in whatever direction it turns, would have to conclude that there is light everywhere. And so consciousness can seem to pervade all mentality when actually it does not.

(Ma traduction : c’est comme de demander à une torche électrique placée dans une pièce obscure de chercher quelque chose qui ne reflète aucune lumière. La torche, car elle éclaire tout ce vers quoi elle est pointée, sera contrainte de conclure qu’il y a de la lumière partout. Ainsi, la conscience peut sembler s’étendre à tout objet mental, alors qu’en réalité il n’en est rien.)

Pourtant, ce bagage inconscient est influençable.

Par exemple, le cerveau se met à disposition de son hôte lorsqu’il s’entraîne à reproduire les mêmes gestes (le service du tennisman, le geste de l’artisan, etc.), ou à stimuler les mêmes pensées ou à exprimer un certain état mental (par exemple : la méditation).

Pourtant, une fois encore, cette possibilité existe : de telles expériences l’ont démontré. Ce qui corrobore l’idée sartrienne que l’existence précède l’essence.

Mais on connaît encore trop peu les procédés qui permettraient de nous changer sciemment : dénouer nos préjugés et abolir nos peurs.

Le témoignage du skipper Yvan Bourgnon, qui a effectué un tour du monde sur un voilier non-habitable, est ébouriffant :

La plus incroyable des progressions que j’ai pu ressentir se situe au niveau de la gestion du stress lié au fait que je navigue sur un engin qui peut chavirer à chaque instant et donc mettre ma vie en danger très rapidement. Après deux chavirages et de multiples crises de psoriasis en Atlantique, j’ai pu m’adapter à ce milieu imprévisible en programmant mon cerveau afin de le forcer à comprendre que ma navigation était juste « safe » et « normale ». Dès lors, je n’ai plus chaviré et j’ai pu enchaîner des navigations extrêmes en toute décontraction.

 

La (neuro)biologie nous permet de mieux cerner ce qui est intangible chez l’homme et ce qui peut faire l’objet de manipulation – autant subie (question traitée ci-dessous) que volontaire pour l’individu.

Cela ne peut désormais être ignoré dès lors que l’on traite des concepts de liberté, de subjectivité et de responsabilité. Suivons la consigne du génial Michael Jackson :

I’m Starting With The Man In The Mirror
I’m Asking Him To Change His Ways
And No Message Could Have Been Any Clearer :
If You Wanna Make The World A Better Place
Take A Look At Yourself, And Then Make A Change

– Michael Jackson, Man In The Mirror

(ma traduction : je commence avec l’homme dans le miroir / je lui demande de changer ses habitudes / ce message ne peut être plus clair : / si tu veux faire du monde un monde meilleur / regarde-toi, et change)

 

J’en termine par deux avertissements :

Premièrement, d’après Lancet Psychiatry, il existerait un cerveau-type de psychopate, qui contiendrait moins de matière grise et plus de matière blanche dans les zones liées au système de récompense. Ces individus seraient capables d’envisager uniquement les retombées positives de leurs actes. De ce fait, ils seraient désinhibés et oseraient ce que d’autres n’oseraient pas – y compris le passage à l’acte violent ou criminel.

Quant à l’usage que l’on fera de cette information, il est évident que si l’eugénisme a été et reste une menace potentielle, la cartographie neuronale pourrait à son tour être l’outil de dérives totalitaires à venir.

 

Seconde mise en garde : la question du conditionnement, ou manipulation. Car si l’on peut se changer soi-même, il est aussi possible que l’on soit changé par autrui.

Il peut être aisé d’embrigader un homme qui se comporte comme un animal et qui baigne inconscient dans sa marinade. On fabrique avec des dogmes, des préceptes et des croyances, un opium puissant : ainsi procèdent les dérives sectaires de toutes sortes, qu’elles empruntent le nom de civilisation, de tradition, de religion, ou encore d’Etat-providence ou d’Etat-nation. Elles pétrissent les individus à leur façon. On lira avec attention le chapitre Benway (chapitre 1) du Festin Nu de William Burroughs pour se faire une idée fantasmée (ou non ?) des horreurs du conditionnement, dont cet extrait :

Le sujet ne doit pas voir dans ce mauvais traitement une agression de sa personnalité par quelque ennemi antihumain. On doit lui faire sentir que la punition qu’il subit, quelle qu’elle soit, est entièrement méritée, c’est-à-dire qu’il est affligé d’une tare horrible – non précisée. Le besoin tout cru des fanatiques du contrôle doit être camouflé décemment derrière une paperasserie tout aussi arbitraire que complexe, de manière que le patient ne puisse jamais entrer en rapport direct avec son ennemi.

– William Burroughs, Le Festin Nu

Il va être plus compliqué de changer un homme qui s’est forgé ses propres lois, au travers des leçons qu’il s’est lui-même données. Mais cela n’est pas garanti : il faut encore être né au bon endroit et dans de bonnes conditions. Ce qui est rarement le cas. Par conséquent, il est nécessaire de penser à un système organisationnel dont les principes de fonctionnement entraîneraient le déconditionnement, c’est-à-dire qui imposerait à ses représentants la recherche d’équilibre, notamment par la confrontation à autrui (en tant que détenteur d’une autre culture).

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