Saucissonnage intellectuel contre pensée systémique

On sait faire des tranches de saucisson à partir d’un porc. Mais il est impossible de recréer le porc à partir de tranches de saucisson.

Alors pourquoi s’acharner à saucissonner les enjeux du monde en autant de variations parcellaires et par conséquent partiales : sujets sociaux, économiques, juridiques, écologiques, etc.

Saucisson de cochon
Essayez de m’en faire un cochon !

Tripes de Cochon
C’est bien essayé, mais ça ne marche pas !

On voit bien qu’entre le cochon et la charcuterie, c’est une relation à sens unique !

Tout est lié, et on ne saurait recréer une société, ou plus modestement la faire évoluer, sans avoir une vision d’ensemble. Cette vision, que l’on nommait jadis « utopie » (terme que je reprends à mon compte), « idéologie » ou « idéal », et que je nomme « vision systémique » ou « pensée systémique », a été mise en lambeaux par :

  1. les carnages de violence perpétrés sous le fallacieux couvert d’idéologies au XVIIIe (esclavagisme), XIXe (colonisation) et XXe siècles (nazisme, stalinisme, maoïsme, etc.), et qui ont été dénoncés par le mouvement intellectuel dit « anti-totalitaire » à la fin des années 1970 (lire cet entretien de François Cusset) qui a contribué à jeter dans le même sac-poubelle ces totalitarismes avec la notion même d’idéal (au profit du développement, sans alternative contradictoire possible, du libéralisme aveugle),
  2. les approches matérialistes et technicistes anglo-saxonnes de la condition humaine : l’utilitarisme (comme tentative de concevoir une fabrique du bonheur mesurable), puis le béhaviorisme (dont je produis une brève critique ici ou ) ou encore la cybernétique comme « fantasme démiurgique d’une suppression de l’incertitude » (article de François Cusset à lire ici).

 

Les réformes politiques seules, les réformes économiques seules, les réformes éducatives seules, les réformes de vie seules ont été et seront condamnées à l’insuffisance et à l’échec. Chaque voie ne peut progresser que si progressent les autres. Les voies réformatrices sont corrélatives, interactives, interdépendantes.

– Edgar Morin (issu de ce texte)

 

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les penseurs tentaient de développer un « système » pour décrire des mouvements idéaux. J’en donne des exemples dans ce billet.

Au XXe siècle, qui fut le temps de l’avènement des totalitarismes justifiés par l’idéologie on ne voit fleurir que des listes de propositions parcellaires et sans vision d’ensemble, par exemple, pour ne prendre que des choses récentes :

Ou encore, de perpétuelles initiatives de crowdsourcing, puisque c’est à la mode, pour soi-disant « changer le monde ». Là encore, il ne s’agit que d’étalages informes de projets divers et variés s’appliquant à des situations hétérogènes. Ce qui ne produit bien entendu rien de cohérent, par manque de vision à haute altitude. Quelques exemples récents :

  • Une initiative de Sparknews, qui veut fédérer les médias internationaux pour faire la promotion de « projets qui peuvent faire la différence » (quelques exemples ici). Quand on voit les sponsors de l’opération, on a quand même un peu peur : AXA, Total et Aéroports de Paris…
Sparknews Journalism Day
Sparknews – Impact Journalism Day

 

Bref, tout le monde se met à faire des inventaires à la Prévert qui n’ont aucune cohérence car ils ont le défaut de ne présenter, en préalable, aucune vision d’ensemble, c’est-à-dire aucun projet cible. Schopenhauer écrit, dans La lecture et les livres :

Des vues, chacun en a ; mais quelque chose qui ressemble à un système d’idées, bien peu de gens le possèdent. Aussi ne prennent-ils à rien un intérêt objectif, et voilà pourquoi il ne leur reste rien de leur lecture ; ils n’en retiennent rien.

 

Je rappelle de mon côté que

la véritable innovation ne consiste pas à rendre l’ancien système plus efficace, mais bien à en inventer un autre.

 

En outre, ce saucissonnage atteint même le domaine des lois : tout fait divers médiatisé implique une loi en réponse.

Or, c’est exactement le mal dont nous souffrons :

Comme on ne peut faire un cochon à partir de tranches de saucisson, il est impossible de produire du sens à partir de bribes de valeurs et de pensées.

C’est pourquoi l’utopie est une ligne directrice nécessaire si l’on veut produire une pensée pragmatique cohérente ; en résumé : du sens.

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