Mauvaises motivations

Se pourrait-il que je me sois lancé dans ce projet pour quelques mauvaises motivations, tout à fait non-altruistes, c’est-à-dire foncièrement égoïstes ?

A priori, non. Du moins, pas autant que pourrait le faire un vendeur d’avenir, ou un malade d’argent, de pouvoir ou d’honneurs.

Mais quand même, essayons de creuser là où ça fait mal. Voici une liste de choses tout à fait égoïstes qui pourraient à la fois expliquer et résulter de ce travail :

  • Trouver du sens : il y a quand même beaucoup de ça. Dans un monde auquel on ne croit plus, la plus raisonnable des choses à faire est d’essayer de trouver quelque chose en quoi croire ; comme je doute fortement que cela arrive par hasard, il faut bien s’y mettre.
  • Avoir la conscience tranquille : se dire qu’on a fait le job, ne pas avoir de regrets. Bon, certes, c’est ce qu’on doit se dire quand on a vraiment l’impression d’avoir donné le meilleur de soi-même. On doit mieux dormir, peut-être – mais rien n’est moins sûr… (d’après Maslow : besoin d’accomplissement de soi)
  • Prouver quelque chose à soi-même et aux autres : c’est la continuation du point précédent (d’après Maslow : besoin d’estime). Peut-être que c’est justement un bon moteur pour donner le meilleur de soi-même.
  • Exercer mon engagement politique : ce serait la seconde phase (telle que décrite ici), une suite possible à l’écriture de ce projet éminemment politique, mais c’est un autre métier, et je ne sais pas encore quoi en penser.
  • Me faire plaisir (accomplissement de soi) : il y a d’autres moyens, mais c’est vrai que celui-ci me plaît bien quand même ! Simple mélancolie créatrice ? « Dans son apologie de la mélancolie Against Happiness, Eric G. Wilson explique que cet état naît d’une insatisfaction face au monde tel qu’il est, et que ne pas l’accepter peut stimuler notre imagination. La mélancolie serait ainsi dotée d’un fort pouvoir créatif. » Rien à voir ! Il faut au contraire être plus que déterminé et revigoré pour se lancer dans l’écriture d’une utopie. Mais ce travail lui-même est gratifiant et euphorisant. Plutôt que de la mélancolie, il y a certainement un penchant maniaco-dépressif dans l’acte d’écriture.
  • Caresser l’espoir d’en être reconnu et célébré, par une reconnaissance sociale et intellectuelle (d’après Maslow : besoins d’estime, d’appartenance et d’amour)
  • En faire un métier qui me permettrait de n’avoir rien d’autre à faire pour gagner de l’argent : en d’autres termes prosaïques, sortir du bon vieux syndrome métro-boulot-dodo-enfants-monospace-chien. Sachant qu’écrire ne rapporte rien, ce souhait de richesse serait plutôt une cerise sur le gâteau. En outre, il me semble qu’une telle situation de parasitisme (concrètement, l’écrivain ne produit rien) n’est pas moralement tenable ni conforme à mes valeurs. Alors, on pourrait dire : avoir généré suffisamment d’argent par ce biais pour me consacrer à d’autres activités utiles mais non-lucratives – l’action politique, citée ci-dessus, pourrait faire partie de telles activités.
  • Tromper la mort : vanité de la postérité !

 

Et puis, finalement, une pure folie : avoir raison. Quelle est la manière la plus certaine d’avoir raison ? Churchill l’a dit :

L’ Histoire me sera favorable, car j’ai l’intention de l’écrire.

Écrire l’Histoire, changer le monde : le comble, c’est de comprendre la folie de l’entreprise tout en la revendiquant comme seule raisonnable ! De toutes les mauvaises motivations d’écrire, voilà la meilleure !

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