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Homo pragmaticus : du matérialisme

Ce qui est créé par l’esprit est plus vivant que la matière.

– Baudelaire

Il semble difficile de pouvoir donner raison à Baudelaire, dans un temps où tout est matériel, concret, mesurable et quantifiable (et pour les domaines où l’on ne dispose pas encore d’instruments de mesure, ils seront bientôt inventés). La matière a l’air plus vivante que l’homme et ses pensées, et on lui accorde bien davantage d’égards. Le souffle (ou plutôt l’expiration) matérialiste, utilitariste, scientiste et objectiviste exhale une tiède puanteur mécanique et intoxicante d’huile, de gaz d’échappement et de particules métalliques. Dans la fabrique, des hommes de chair prennent place entre les machines-outils rutilantes de leur sueur noire. Ils tentent de servir au mieux une logique qui les dépasse mais qu’ils ont appris à vénérer comme un processus vital bienfaiteur et infini. Les chairs brutalisées et concassées sont autant de démonstrations du sacrifice, comme vertu du martyr, qui s’exhibent fièrement.

Metropolis, de Fritz Lang
La glorieuse Metropolis (Fritz Lang)

Et ces bienfaits et cette fierté sont autant individuels que collectifs, corroborés par le fait qu’eux aussi, en tant qu’éléments matériels, sont mesurables et quantifiables. Il existerait donc un horizon indépassable, et c’est, ô joie ! celui dans lequel nous serions d’ores et déjà projetés.

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La désobéissance civile comme liberté des peuples

Jacques Rancière définit l’opposition entre la police (pouvoir gouvernemental) et la politique (processus d’émancipation) comme l’essence du politique. En d’autres termes, il fait s’affronter la rigidité d’un corps constitué de normes (l’Etat) avec la volonté et le désir d’individus souhaitant exprimer leur liberté dans l’égalité de tous. Face à cet Etat hiérarque qui « fait du tort à l’égalité », le citoyen libéré qui cherche à éviter l’emploi d’une violence face à une autre (car la fin ne justifie jamais les moyens) n’a pas d’autre choix que d’adopter une posture nommée désobéissance civile.

A la suite de Nietzsche, qui considère l’Etat comme « le plus froid de tous les monstres froids », Alain Badiou déclare dans cet entretien :

Tout État possède une dimension criminelle intrinsèque. Parce que tout État est un mélange de violence et d’inertie conservatrice. […] L’État est une entité qui n’a d’autre idée que de persévérer dans son être, comme dirait Spinoza.

Badiou évoque ici la fameuse raison d’Etat, valeur suprême qui justifie d’outrepasser les règles démocratiques, c’est-à-dire d’ignorer la volonté du peuple. Comme cette raison d’Etat est pratique, elle est invoquée par tous les dirigeants, qu’ils aient été élus au cours d’un scrutin dit démocratique, ou pris le pouvoir par les armes ou qu’ils l’aient encore hérité de naissance. Ce qui fait qu’à l’échelle mondiale, on constate que la volonté des peuples ne s’exprime jamais, mais que celle des nations et de leurs gouvernements ne cesse de se renforcer.

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