Archives par mot-clé : démocratie

La désobéissance civile comme liberté des peuples

Jacques Rancière définit l’opposition entre la police (pouvoir gouvernemental) et la politique (processus d’émancipation) comme l’essence du politique. En d’autres termes, il fait s’affronter la rigidité d’un corps constitué de normes (l’Etat) avec la volonté et le désir d’individus souhaitant exprimer leur liberté dans l’égalité de tous. Face à cet Etat hiérarque qui « fait du tort à l’égalité », le citoyen libéré qui cherche à éviter l’emploi d’une violence face à une autre (car la fin ne justifie jamais les moyens) n’a pas d’autre choix que d’adopter une posture nommée désobéissance civile.

A la suite de Nietzsche, qui considère l’Etat comme « le plus froid de tous les monstres froids », Alain Badiou déclare dans cet entretien :

Tout État possède une dimension criminelle intrinsèque. Parce que tout État est un mélange de violence et d’inertie conservatrice. […] L’État est une entité qui n’a d’autre idée que de persévérer dans son être, comme dirait Spinoza.

Badiou évoque ici la fameuse raison d’Etat, valeur suprême qui justifie d’outrepasser les règles démocratiques, c’est-à-dire d’ignorer la volonté du peuple. Comme cette raison d’Etat est pratique, elle est invoquée par tous les dirigeants, qu’ils aient été élus au cours d’un scrutin dit démocratique, ou pris le pouvoir par les armes ou qu’ils l’aient encore hérité de naissance. Ce qui fait qu’à l’échelle mondiale, on constate que la volonté des peuples ne s’exprime jamais, mais que celle des nations et de leurs gouvernements ne cesse de se renforcer.

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Empowerment citoyen

Dans un sondage récent (Ifop/Atlantico, visible ici), 67% des Français sondés seraient « d’accord » pour confier la direction du pays à « des experts non élus » qui seraient à même de réaliser des « réformes nécessaires mais impopulaires » :

Sondage Ifop/Atlantico - experts
Un gouvernement d’experts non élus ? (Sondage Ifop/Atlantico)

Ils seraient 40% à être « d’accord » pour confier ce même gouvernement à un « pouvoir politique autoritaire, quitte à alléger les mécanismes de contrôle démocratique s’exerçant sur le gouvernement » :

Sondage Ifop/Atlantico - autoritaire
Un gouvernement autoritaire ? (Sondage Ifop/Atlantico)

 

Christophe De Voogd commente, dans le même article, ces résultats :

Peut-être alors y a-t-il dans ce sondage une sorte d’aveu implicite de la population, qui constate les blocages catégoriels et ses propres exigences contradictoires et l’impasse où cela conduit le pays. D’où l’envie plus ou moins forte, plus ou moins consciente, de se délester du fardeau sur les experts ou l’homme providentiel. Une sorte de « démission démocratique » qu’avait déjà diagnostiquée, pour une fois d’accord, aussi bien Rousseau que Tocqueville.

Vincent Tournier ajoute :

C’est un résultat surprenant car, en général, les électeurs n’aiment pas l’idée d’un gouvernement technocratique : c’est d’ailleurs ce qu’ils reprochent à l’Europe, voire aux élites françaises (le pouvoir des énarques, la fameuse « énarchie »). […]

D’autres enquêtes ont déjà montré qu’il y a, dans l’opinion, une demande d’autorité, notamment dans les milieux populaires. Cette enquête confirme donc qu’il existe un profond malaise. Les gens sont désarçonnés par les évolutions auxquelles ils assistent. Ils ont le sentiment d’avoir de moins en moins de prise sur le pouvoir politique. C’est la conséquence de ce que les spécialistes ont appelé la « gouvernance ». Ce terme désigne le fait que les mécanismes de décision suivent aujourd’hui un cheminement  plus complexe que dans le passé. […]

Le problème est que, dans ce nouveau mécano, l’électeur est perdu, ce qui est logique. Qui peut prétendre avoir compris le fonctionnement de l’Union européenne ? Qui s’y retrouve dans la décentralisation en France, avec sa ribambelle de réformes toutes plus complexes les unes que les autres ? Plus grave encore : dans le système politique actuel, qui devient responsable des décisions ? Qui faut-il blâmer lorsqu’on est mécontent de sa situation ?

 

Face à cette « démission démocratique » engendrée notamment par la complexité croissante de la « gouvernance », ce n’est ni le collège d’experts, ni le dictateur éclairé, qui constituent deux penchants de la démission démocratique et citoyenne, qui pourraient nous sortir de l’ornière.

C’est au contraire l’empowerment citoyen qui constituerait, selon moi, une solution : cet empowerment est une somme de moyens par lesquels les citoyens pourraient se réapproprier la connaissance, la compréhension, la responsabilité, le pouvoir et la capacité à gouverner.

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Raison, secret et mensonge d’Etat

De la raison d’Etat au secret d’Etat, et du secret d’Etat au mensonge d’Etat, les pas peuvent être rapidement franchis.

C’est une habitude qui a été prise, ou plutôt a été héritée : les gouvernants de démocraties ont adopté, par atavisme, certains modes de fonctionnement des monarques qui les ont précédés.

Autre bizarrerie : en passant d’un régime despotique à un régime démocratique, la population ne s’est pas plus que ça offusquée que les secrets restent bien gardés. On se dit que la raison d’Etat le nécessite, et comme désormais, en démocratie, l’Etat travaille pour le peuple, il n’y aurait pas de conflit : si les moyens employés restent les mêmes, peu importe, car ce qui compte, ce sont les fins auxquelles ils sont employés.

Mais ce faisant, non seulement on justifie l’adage périlleux et néfaste selon lequel la fin justifie les moyens, mais en outre on admet et on entérine le fait qu’il y a une séparation dans l’Etat entre le gouvernement et la population. Ou, en d’autres termes : qu’il est justifié que le gouvernement en sache plus que la population et la laisse dans l’ignorance de certains faits, car « c’est pour son bien« .

Et on comprend dès lors à quel point un tel raisonnement devient dangereux pour une démocratie, car la raison d’Etat devient raison gouvernementale, ou raison du pouvoir temporel, qui se substitue à la vigilance nécessaire du peuple. Nietzsche parle de « monstre froid », et Kant fustige la paresse consistant à déléguer les affaires les plus importantes et vitales à autrui – et qu’y a-t-il de plus important, de plus impérieux pour un citoyen, que d’exercer son pouvoir de contrôle sur le pouvoir temporel (le gouvernement) ?

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De la représentativité en démocratie pour répondre à la question du droit et des moeurs

Comment répondre à cette vieille question de juriste :

Sont-ce les mœurs qui font le droit, ou le droit qui fait les mœurs ?

Horace posait déjà la question ainsi :

Que sont les lois sans les mœurs, que sont les mœurs sans les lois ?

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