Ma nourrice me tue ! – Témoignage d’un adulte que l’État voulait empêcher de quitter son giron

L’Etat-providence est-il une nourrice bienveillante ou une mère castratrice ?

En réalité, la réponse à cette question n’a que peu d’importance, car dans les deux cas, c’est notre responsabilité que l’on nous retire. Or :

La responsabilité est l’expression de la dignité humaine

Car si je ne suis responsable de rien, comment pourrais-je être digne de quelque chose ?

Pitié donc, ne nous laissez pas avec cet Etat-Fanny-au-gros-cul, qui ne fera de nous que de la mauvaise graine ! Freddie Mercury le chante si bien :

Left alone with big fat Fanny / She was such a naughty nanny. Heap big woman, you made a bad boy out of me !

 

 

C’est pourquoi toute forme de gouvernement qui, sous couvert de protéger ses ouailles, les materne et les traite comme ses enfants, non seulement leur retire toute forme de responsabilité, mais interdit par la même occasion leur droit à la dignité. Et par conséquent, à être des hommes libres (pléonasme).

Tocqueville dénonçait déjà ce « pouvoir immense et tutélaire » :

Absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux [qui] ressemblerait à la puissance paternelle [mais qui] ne cherche, au contraire, qu’à [nous] fixer irrévocablement dans l’enfance

Et il pourfend aussi l’idée défendue par tous ceux qui se font les apôtres de la centralisation et du dirigisme que

la sagesse seule est dans l’État, que les sujets sont des êtres infirmes et faibles qu’il faut toujours tenir par la main, de peur qu’ils ne tombent ou ne se blessent

Et si notre Etat-providence souhaitait que nous ne grandissions jamais ? S’il considérait que penser pour nous, c’était pour notre bien, car nous serions inaptes à l’autonomie ? Tocqueville pensait que ce type de gouvernement a

une défiance profonde de la liberté, de la raison humaine.

 

Mais allons plus loin dans notre modernité : n’est-ce pas que la course à la croissance économique, qui est prétendument devenue notre seul salut (et certainement encore plus celui des hommes politiques supporters de cet Etat-Providence…), doive être poursuivie coûte que coûte ? Et qu’il n’y a aucun mal à cela, puisque cela est bon pour tous? Est-ce que l’Etat-providence aurait conclu un pacte avec le marché, pour qui il est plus aisé de vendre à des enfants manipulables et dociles qu’à des adultes vigilants et responsables, libres de leurs choix ?

Car la liberté pose problème. Puisque la majorité des occidentaux n’est plus abrutie par le travail, et que la chape de plomb culturelle a sauté avec la libération des mœurs dans les années 60 (événements de Mai 68 chez nous), il semble enfin que l’angoisse existentialiste de la liberté ne soit plus réservée à une élite. Et quoi de plus mauvais pour la consommation des ménages que l’angoisse ? Ne nous assène-t-on pas suffisamment, que l’économie et la croissance, c’est avant tout de la confiance ? Il est alors fort naturel que l’Etat-providence se mette en devoir d’épargner cette angoisse à ses chers petits : c’est-à-dire, in fine, de nous priver de liberté en nous berçant, à demi-conscients, béats de morphine-providence.

Puis, à partir du moment où l’Etat me recommande de manger cinq fruits et légumes par jour (et dépense l’argent que je lui donne pour me le conseiller), pourquoi ne me dit-il pas aussi quand aller à la selle, quand dormir et quand baiser ? Et aussi, comment je devrais m’y prendre ? Ou avec qui il vaudrait mieux fonder un foyer afin d’assurer à la nation une meilleure mixité socio-économico-culturelle ?

5 fruits et légumes - Olivier Ganan
L’Etat-nounou-providence vous conseille… (dessin de Olivier Ganan)

Tocqueville encore :

La démocratie veut l’égalité dans la liberté et le socialisme veut l’égalité dans la gêne et la servitude

Face à cette dérive étatiste bien française, les anglo-saxons, toujours plus pragmatiques que nous, ont conceptualisé par l’étude béhavioriste la méthode du « nudge », c’est-à-dire de l’incitation. Je cite l’article de Julien Damon :

L’idée générale : ne pas forcer les préférences des individus libres, mais agir à l’encontre des « failles de leur raisonnement », accompagner leur action à travers les moyens qu’ils peuvent mettre au service d’une fin, sans changer leurs objectifs. Les pouvoirs publics doivent organiser « l’architecture des choix », sans limiter l’éventail de possibilités, mais en rendant plus coûteux les mauvais. L’individu reste décideur, mais orienté dans son choix.

Huit excellents exemples concrets de cette pratique sont donnés :

  1. Une mouche noire dessinée au fond des urinoirs encourage les hommes à mieux viser et améliore la propreté des toilettes
  2. L’option recto-verso programmée par défaut sur les imprimantes permet d’économiser des tonnes de papier
  3. L’intégration, dans les paquets, d’une chips de couleur entre les chips classiques diminue la consommation
  4. Inscrire les salariés américains automatiquement dans des plans facultatifs de retraite, avec clause de désengagement, augmente significativement l’épargne
  5. L’insertion de silhouettes sur les bords de route améliore la sécurité routière
  6. Indiquer, sur les factures, la consommation de ménages de la même catégorie conduit à des diminutions de dépenses énergétiques
  7. Faire du don d’organes la stratégie par défaut, avec des démarches à faire dans le seul cas où l’on veut s’y opposer, fait passer de 20 % à 80 % la proportion de donneurs d’organes
  8. Afficher une note sur la porte des maisons informant du nombre de voisins participant au recyclage des ordures en augmente de 20 % le taux

Où l’on constate qu’il s’agit de laisser la responsabilité à l’individu, et de lui permettre l’auto-contrôle par l’information et la comparaison avec ses pairs (exemples 6 et 8), d’utiliser la (re)conduction tacite des bonnes pratiques (choix par défaut) tout en laissant le choix de ne pas y adhérer (exemples 2, 4 et 7), ou encore de mettre en place des alertes psycho-motrices pour attirer l’attention (exemples 1, 3 et 5).

Des pratiques que je considère respectueuses de l’individu et de sa liberté, tout en permettant à l’Etat d’orienter globalement les choix des citoyens. Ce qui est le principe même d’une société démocratique s’accordant à des normes communes (les us et coutumes, ou mœurs) prescrites par une majorité représentative.

L’État, comme le souligne Julian Le Grand, ne doit pas être une nounou aux instructions et punitions infantilisantes, mais un ami soucieux d’aider.

 

Comme en toute bonne initiative, on peut craindre des dérives. En l’occurrence, faire du nudge non plus une incitation visible (tous les exemples donnés ci-dessus ne dissimulent rien de leur objectif), mais une stratégie de manipulation sournoise. Cet article décrit très bien le phénomène, en citant le professeur Donald Hantula (qui dirige le Decision Making Laboratory à la Temple University) :

If you approach it [the nudge] from the perspective of « oh, these people are stupid, so let’s arrange things so we use their stupidity against them »

(ma traduction : Si vous placez [le nudge] dans la perspective que « les gens sont stupides, alors arrangeons les choses de telle sorte que nous puissions utiliser leur stupidité contre eux »)

Alors, poursuit l’article :

To assume that people make mistakes all the time is to assume that they needn’t be aware that a government or business is trying to change their behavior

(ma traduction : « prendre pour hypothèse que les gens se trompent tout le temps revient à poser qu’ils n’ont pas besoin d’être conscients qu’un gouvernement ou qu’une entreprise commerciale est en train d’essayer d’influencer leur comportement ».)

This outlook has led to a widespread preference among nudgers for « moving in imperceptible steps that do not create backlash or resistance » as Andreas Souvaliotis, the executive chairman of Social Change Rewards, recently said in an interview in Forbes

(ma traduction : ce point de vue a conduit de nombreux nudgers à préférer « mouvoir [les gens] au travers d’imperceptibles étapes afin d’éviter tout contrecoup ou résistance ».)

L’article dit que rendre les gens conscients des incitations du nudge, c’est faire du nudge 2.0. Je crois pour ma part que c’est au contraire respecter les principes fondateurs du nudge, sans leur dévoiement utilitariste et cynique.

Appliqué à la sécurité routière, le nudge serait un panneau de signalisation qui nous indique un virage dangereux, ou un radar pédagogique, afin que nous puissions prendre, en toute responsabilité, nos précautions : c’est la correction affichée et volontaire d’un défaut de notre faculté de discernement. L’altération du nudge par de mauvais esprits serait un radar de vitesse bien dissimulé sur le bas côté d’une route rectiligne…

Panneau Virages Dangereux
Nudge !

Radar pédagogique
Nudge !

Radar automatique
Pas nudge !

 

Dans le domaine politique, comment ne pas voir que nos politiciens actuels utilisent massivement cette stratégie de dissimulation afin de faire passer des réformes de manière insidieuse, dans un total déni de démocratie ? C’est la version Hollande des petits pas, par exemple, sur le mariage pour tous, puis la Procréation Médicalement Assistée (PMA) pour les couples homosexuels, puis la Gestation Pour Autrui (GPA) : on saucissonne la problématique pour en masquer sa vision globale et empêcher le débat, on ne dit pas tout le projet, on masque ses objectifs finaux.

Par conséquent, au cas où l’Etat se dissimulerait derrière le « nudge » pour porter atteinte à nos libertés, n’oublions jamais et faisons notre pour toujours cette mise en garde de Nietzsche.

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