Archives de catégorie : Spiritualité

De la pauvreté, de la misère, de l’humiliation

Oui je sais, on a nos problèmes – le Brexit, l’Euro 2016, le mauvais temps, les réservations pour les vacances. Mais on sait quand même s’accorder quelques minutes de pensée recueillie et pleines de solennité (façon debout, bras en V, mains croisées, face fermée-pokerface – si cela vous rappelle des images officielles de représentants du peuple tout aussi officiels, vous y êtes !) pour la pauvreté dans le monde : on est pas des bêtes !

C’est que les pauvres pauvres, quoi, enfin… vous savez. Oui, on sait qu’on s’en fout, et bien profond. La roue tourne, chance pour les uns, malchance pour les autres, ainsi va le monde, ou peut-être que Dieu récompense les bons et punit les mauvais ? Monceaux de balivernes et foutaises, fabrique hypocrite de consciences lavées.

Pourtant, une mauvaise conscience d’occidentaux éveillés devrait nous donner quelques nuits blanches, de la peine, de la colère et de la rage.

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L’homme du XXIe siècle – la terre et le ciel

Les pieds sur sa terre (son territoire, son terroir) et le même ciel pour tous.

Ou, dit autrement : à chacun ses racines, mais à tous le ciel – l’air que l’on respire, l’eau que l’on boit, la terre notre planète.

Cette devise doit être notre guide pour ce siècle au moins. Nous avons plus que jamais conscience de la finitude du monde, et de l’obligation qui nous est faite de le partager. Faite d’altérités, de pluralité, l’humanité vit un destin commun – ce qui ne signifie nullement, donc, un destin « unique » !

La contrainte nouvelle, parce qu’impossible désormais à ignorer, est l’universalité des responsabilités. Tout est lié et il n’est plus possible d’ériger des frontières à la manière de murs infranchissables. Tout est perméable, tout est hospitalité, malgré les efforts d’un grand nombre à se montrer hostiles face à cette nouvelle situation.

La liberté reste à construire pour ce monde des hommes fragile, plus facilement en proie à la violence auto-destructrice qu’à l’entente féconde. La civilisation pour demain saura accueillir et favoriser la pluralité, éviter le nombrilisme de la toute puissance ou au contraire la misanthropie régressive tout en veillant à ne pas chercher la domination totale pour d’hypothétiques raisons (naturelle, historique ou scientifique). Elle devra faire avec un imprévu complexe (la menace pesant sur l’écosystème) et concilier immanence et transcendance.

Une des fresques les plus célèbres de Raphaël qui se trouvent au Vatican représente la dite École d’Athènes. Au centre se trouvent Platon et Aristote. Le premier a le doigt qui pointe vers le haut, vers le monde des idées, nous pourrions dire vers le ciel ; le second tend la main en avant, vers celui qui regarde, vers la terre, la réalité concrète.

– Pape François, discours parlement européen (25 novembre 2014)

Il s’agit d’une relecture du concept de glocal (global et local), d’une réinterprétation du slogan « think global, act local » (penser globalement, agir localement) : penser une possibilité de vie universelle, un en-commun viable, tout en respectant les libertés, les différences, les altérités, la pluralité du local. C’est une convention (une religion) vers une nouvelle organisation, hospitalière et pacifique.

Homo pragmaticus : du matérialisme

Ce qui est créé par l’esprit est plus vivant que la matière.

– Baudelaire

Il semble difficile de pouvoir donner raison à Baudelaire, dans un temps où tout est matériel, concret, mesurable et quantifiable (et pour les domaines où l’on ne dispose pas encore d’instruments de mesure, ils seront bientôt inventés). La matière a l’air plus vivante que l’homme et ses pensées, et on lui accorde bien davantage d’égards. Le souffle (ou plutôt l’expiration) matérialiste, utilitariste, scientiste et objectiviste exhale une tiède puanteur mécanique et intoxicante d’huile, de gaz d’échappement et de particules métalliques. Dans la fabrique, des hommes de chair prennent place entre les machines-outils rutilantes de leur sueur noire. Ils tentent de servir au mieux une logique qui les dépasse mais qu’ils ont appris à vénérer comme un processus vital bienfaiteur et infini. Les chairs brutalisées et concassées sont autant de démonstrations du sacrifice, comme vertu du martyr, qui s’exhibent fièrement.

Metropolis, de Fritz Lang
La glorieuse Metropolis (Fritz Lang)

Et ces bienfaits et cette fierté sont autant individuels que collectifs, corroborés par le fait qu’eux aussi, en tant qu’éléments matériels, sont mesurables et quantifiables. Il existerait donc un horizon indépassable, et c’est, ô joie ! celui dans lequel nous serions d’ores et déjà projetés.

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Le primitivisme, ou l’anarchie anti-civilisation

Le primitivisme est une solution de repli souvent invoquée face aux errements multiples de ce que l’on nomme communément (et à tort) « la civilisation » (l’Occident). Il s’agit de revenir aux sources, au prétendu « naturel », de retrouver l’harmonie perdue d’un âge d’or fantasmé.  Le primitivisme (anarcho-primitivisme) est un écologisme, et se veut une anarchie (contre l’Etat) anti-civilisation (sans développement historique). Pierre Clastres écrit :

L’histoire des peuples sans histoire, c’est […] l’histoire de leur lutte contre l’État.

– Pierre Clastres, La société contre l’État

Pour ses partisans, cette idéologie constitue la seule alternative à l’expansion effrénée des moyens de production et du gaspillage consumériste. Elle serait le seul remède vertueux (car naturel) à nos maux d’hommes trop « civilisés ». Pour comprendre la valeur et les limites de cette doctrine, il faut poser plusieurs questions :

  • Qu’est-ce qu’être contre la civilisation, c’est-à-dire contre le processus civilisationnel de développement ?
  • Qu’est-ce qu’un peuple an-historique ?
  • En quoi une telle doctrine peut-elle être qualifiée d’anarchie ?

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Ethique de l’hospitalité

Déjà exprimée par Kant et renouvelée par la responsabilité illimitée envers l’autre de Levinas, je reprends à mon tour la définition d’une éthique de l’hospitalité afin de former le fondement et la raison d’être de mon utopie. Il faut rappeler, en préambule, que la liberté de circulation figure d’ores et déjà dans l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

La liberté de circulation est le droit pour tout individu de se déplacer librement dans un pays, de quitter celui-ci et d’y revenir.

Mais cette vague et fébrile déclaration d’intention n’offre aucune liberté concrète d’aller et venir ni ne fonde les principes structurants du droit individuel à se mouvoir dans un monde recouvert d’Etats jaloux de leurs frontières. Entre un inefficace article de droit international (sic) et l’injonction morale à l’hospitalité, il existe un gouffre qui correspond à la différence entre de stériles palabres et la politique véritable.

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Assimilation, intégration, multiculturalisme… et pluralité

Il suffit de prononcer l’un de ces trois mots pour attirer a minima des regards soupçonneux, si ce n’est l’ire épidermique des colporteurs de la bien-pensance rampante. Assimilation, intégration, et pourquoi pas identité nationale, aussi ? De là à être traité de raciste, de fasciste, voire de nazi… mais quelle mouche me pique, d’ouvrir la boîte de Pandore ?

Pandora, John William Waterhouse
« Do not open » : on aurait mieux fait de fermer à clé ! (Pandora, John William Waterhouse)

Toujours pour la même raison : s’il y a des crétins congénitaux qui font mainmise sur des sujets sérieux et cruciaux en prenant en otage les termes du débat, et que d’autres se font leurs alliés, par paresse ou faiblesse, en n’osant plus prononcer ces mots ni respecter l’exigence démocratique du débat d’idées (puisqu’ils se contentent de prendre un air dégoûté et de se boucher le nez), il faut bien qu’il y en ait un qui se fasse tabasser entre le marteau et l’enclume. Bam ! C’est tombé sur moi ! (oh, je n’ai pas de mérite, j’adore ça !)

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Altérité et pluralité

De ces hommes de jadis, d’ailleurs ou de demain, nous ne savons peut-être rien, mais nous savons au moins que ce sont des hommes comme nous, prisonniers d’un discours et d’un dispositif, et libres à moitié ; ce sont nos frères. Être curieux d’autrui, ne pas le juger, ce n’est pas de l’humanisme, ça ? Vous préféreriez plus de dogmatisme édifiant ?

– Paul Veyne, Foucault, sa pensée, sa personne

Ainsi se résume, selon Paul Veyne, l’humanisme de Foucault. Humanisme a minima, peut-être, mais humanisme amplement suffisant – nécessaire et suffisant : reconnaître chez l’autre un semblable, un frère certes différent mais pourtant contraint à la même condition humaine (subjectivité et sociabilité), et de cette différence, n’en faire ni une condamnation ni un ennemi, mais au contraire une richesse réciproque qu’il faut être avide de partager.

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Liberté selon Arendt

Selon Hannah Arendt, la chose est entendue : la liberté, c’est la politique (et inversement). Elle écrit précisément :

Le sens de la politique est la liberté.

– Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ? (éditions Seuil)

Ce faisant, Arendt opère un renversement par rapport à la tradition philosophique qui définit, depuis Platon ou Parménide selon elle, la politique comme « un moyen en vue d’une fin supérieure ». Elle résume ainsi ce postulat trompeur :

La politique, à ce qu’on dit, est une nécessité absolue pour la vie humaine, aussi bien pour la vie de l’individu que pour celle de la société. […] La tâche et la fin de la politique sont de garantir la sécurité de la vie au sens le plus large. Elle permet à l’individu d’atteindre ses fins dans le calme et la paix, c’est-à-dire sans être importuné par la politique – peu importe les sphères de la vie dont relèvent ces fins que la politique doit garantir, qu’il s’agisse au sens antique de permettre à un petit nombre de s’adonner à la philosophie, ou qu’il s’agisse au sens moderne de garantir au grand nombre la vie, un gagne-pain et un bonheur minimal. C’est parce que […] cette vie en commun réunit des hommes et non des anges que le souci de l’existence suppose un Etat qui détienne le monopole de la violence et qui empêche la guerre de tous contre tous.

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Pourquoi changer le monde ?

Changer le monde ? Quelle drôle d’idée ! Il est très bien comme ça le monde ! Pourquoi le changer ?

OSS117, Rio ne répond plus

S’il peut sembler évident que le monde n’est, au contraire, pas « très bien comme il est », parce que les preuves s’accumulent, il faut aussi dire pourquoi un individu se met en posture de changer le monde et pour quoi (pour quelles finalités) le monde doit être changé – vers quoi le faire aller.

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Ma relation à l’Occident

Il est probablement impossible, pour des gens ayant vécu et prospéré dans un système social donné, d’imaginer le point de vue de ceux qui, n’ayant jamais rien eu à attendre de ce système, envisagent sa destruction sans frayeur particulière.

– Houellebecq, Soumission

Mais ce n’est pas mon cas, quoi qu’il m’en coûte de l’admettre, car les choses seraient alors tellement plus simples. Elles ne le sont pas ; elles ne le sont que pour ceux qui se bercent d’illusions et ne voient toujours que la face des choses qu’ils veulent voir. Les irresponsables.

Je ne serai donc pas de ceux qui  veulent jeter le bébé avec l’eau du bain. Car, paradoxalement, ce qui permet d’être occidental, ce qui fait la nature de l’être occidental, c’est le doute viscéral associé à la rationalité du cogito de Descartes, c’est-à-dire le fait de se demander en permanence s’il est occidental, qu’est-ce que l’Occident, et est-ce que l’Occident existe. Quitte, par conséquent, à renier, pour les besoins de cette introspection, sa propre réalité. Quelle autre civilisation s’est construite sur le doute d’elle-même et perpétue sa tradition en mettant au monde, génération après génération, des individus dans le doute ?

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