Archives de catégorie : 1.1 Méthodologie

Le combat des idées : une rudesse hospitalière

Love will tear us apart.

– Joy Division

(ma traduction : l’amour nous déchirera)

love will tear us apart - joy division
Ensemble désassemblé

Il vaut mieux rejeter l’autre par un amour déçu que par indifférence ou haine : cela implique au moins que l’on sache à qui l’on a affaire.

Mais l’évitement est devenu la norme, et la rencontre véritable, le combat, est une rareté fragile. Dans ces conditions, le délitement démocratique est inévitable : c’est l’espace public, la scène du politique qui disparaît.

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Pourquoi changer le monde ?

Changer le monde ? Quelle drôle d’idée ! Il est très bien comme ça le monde ! Pourquoi le changer ?

OSS117, Rio ne répond plus

S’il peut sembler évident que le monde n’est, au contraire, pas « très bien comme il est », parce que les preuves s’accumulent, il faut aussi dire pourquoi un individu se met en posture de changer le monde et pour quoi (pour quelles finalités) le monde doit être changé – vers quoi le faire aller.

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Qui prêcher ?

D’accord, vous avez quelque chose à dire, vous êtes un héros-citoyen qui fait son travail d’écriture. Mais pour qui faut-il écrire ? A qui allez-vous vous adresser ?

Pour soi d’abord, charité bien ordonnée commence par soi-même ; écrire permet, en premier lieu, de réifier ses idées, de les confronter à leurs mots et de lutter contre soi afin de faire émerger une chose, une production, qui n’est plus (en) soi et gagne son indépendance. La surprise de l’écrivain envers son texte est la preuve qu’il a su extraire davantage de lui-même que ce qu’il pensait connaître. C’est un dépassement de soi. Julien Gracq écrit, dans En lisant en écrivant, que les écrivains sont :

Des hérétiques enfermés chacun dans leur hérésie singulière, et qui ne veulent pas de la communion des saints [car] leur jardin d’Eden reste à jamais celui des sentiers qui bifurquent.

On doit tirer une certaine satisfaction, en croyant avoir emprunté une ligne droite (celle de son intuition), à se voir contraint d’arpenter des chemins de traverse (des idées et des faits qui nous contredisent et nous dérangent). Ce n’est pas perdre son temps en variations stériles et infinies, mais au contraire laisser l’écriture révéler nos contradictions, nos écarts, nos faiblesses – avant d’exiger de nous-mêmes que nous y remédions.

Comme l’écrivain se surprend sous sa plume (ou son clavier), comment pourrait-il raisonnablement savoir pour qui il écrit ?

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Rétablir et revaloriser la parole publique

Au grand jeu des promesses non tenues, les hommes politiques ont toujours obtenu les premières places. Pourquoi les blâmer ? Leur profession consistant à gagner le pouvoir, ils se sont emparés d’un des plus efficaces stratagèmes permettant d’arriver à leurs fins. Henri Queuille a déclaré :

Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent.

Ceux qui les écoutent, ou ceux qui y croient : les électeurs. Le clientélisme est toujours une arme puissante, qui permet aux escrocs de toute espèce de prolonger encore pour quelques années leur sursis. Le politicien a bien compris que flatter l’électeur dans le sens du poil valait mieux (pour sa propre carrière) que de lui dire ses quatre vérités.

Pourtant, tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise. Il est ainsi amusant d’observer les politiciens poser cette question rhétorique : « mais qui fait le lit du Front National ? » Ils espèrent une dernière fois pouvoir s’en tirer à bon compte, blanchis de leurs mensonges.

On n’en aurait eu que faire, au fond, de ces mythomanes professionnels, s’ils ne s’étaient salis qu’eux-mêmes. Mais leur cynisme sans bornes a provoqué un séisme plus profond : désormais, c’est la parole publique, ou le débat public, qui est devenu suspect. On n’y croit plus. Ceux qui vivent de la politique ont fini par abattre à la fois ceux qui vivaient pour la politique (par conviction), et la politique elle-même, à travers l’impossibilité du débat public.

Or, renouer avec la possibilité du débat public, c’est renouer avec la capacité de faire à nouveau de la politique. Une politique véritable s’entend, c’est-à-dire exigeante envers ses acteurs (les citoyens : hommes politiques comme électeurs) et apte à provoquer l’émergence d’une pluralité d’opinions et de propositions systémiques concrètes fondées sur un savoir scientifique le plus objectif possible.

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Communication du savoir : de l’expertise à la démocratisation

J’ai déjà abordé la question du positionnement de mon travail vis-à-vis de celui d’un universitaire contemporain (à lire en préambule de cet article). Je réponds ici aux questions relatives à l’utilisation et à la transmission du savoir spécialisé.

Comment combler le fossé entre expertise (le discours privé et abscons entre spécialistes) et efficace vulgarisation ? Comment ne pas sombrer dans un simplisme militant ? Comment s’adresser au plus grand nombre tout en conservant rigueur, discipline et exigence ? Comment, alors que le temps de cerveau disponible devient plus que jamais un enjeu économique, que le zapping de l’expression inepte à l’emporte-pièce devient la norme des échanges, et qu’enfin, le relativisme moral devient pantouflage et repli sur soi, ou croyances béates en des lendemains qui chantent, comment, donc, faire retrouver le temps long d’une pensée riche, nécessairement analytique, approfondie, et, pour tout dire, complexe ? Dans une interview donnée en septembre 2015, Régis Debray pose le problème ainsi :

Le problème, c’est le faire-savoir. Sous une pluie d’images, les mots patinent. Si un bon esprit veut avoir de l’influence sur ses contemporains, et c’est ce projet qui définit l’intellectuel, mieux vaut pour lui se faire voir que se faire lire. Quitter le stylo pour le face-caméra. Il y faut un talent qu’ont rarement les hommes d’étude. La vidéosphère a changé la donne. L’intello, pour survivre, doit devenir une vedette de l’audiovisuel. C’est assez humiliant.

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Positionnement par rapport au travail universitaire

Ceux qui parviennent au statut d’enseignant universitaire n’imaginent même pas qu’une évolution politique puisse avoir le moindre effet sur leur carrière ; ils se sentent absolument intouchables.

– Houellebecq, Soumission

Cette phrase est représentative de la qualité de la production de Houellebecq : elle ne dit pas grand chose, ou elle en dit énormément. Le lecteur doit faire le boulot, car Michel est déjà passé à autre chose. En lisant en écrivant, suivons donc une devise de Gracq !

Sûrement ont-ils raison, ces universitaires parvenus, de ne trop rien craindre. A moins que cette évolution politique ne soit d’une ampleur telle qu’elle mette fin à l’Etat de droit républicain, mais même dans ce cas, ce n’est pas la carrière de l’universitaire qui serait remise en cause (on lui demanderait quelques ajustements, on supprimerait des bibliothèques certains ouvrages…). C’est sur un plan privé que les véritables changements auraient lieu : il ne faudrait pas avoir la « mauvaise » couleur de peau ou la « mauvaise » religion… Car même les nazis, grands brûleurs de livres, n’ont pas eu à l’égard du milieu universitaire d’attitude si belliqueuse. Dans leurs « 12 propositions contre l’esprit non-allemand », ils demandèrent « simplement » une nouvelle discipline ; extraits :

6. Nous voulons éradiquer le mensonge, nous voulons marquer la trahison au fer rouge, nous voulons que les étudiants se trouvent non pas dans un état d’ignorance, mais de culture et de conscience politique.

8. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à apprendre et à faire des choix de façon autonome. [une autonomie bornée, donc…]

10. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à triompher de l’intellectualisme juif et de ses chimères libérales sur la scène intellectuelle allemande.

11. Nous exigeons que les étudiants et les professeurs soient sélectionnés en fonction des garanties qu’ils présentent de ne pas mettre en danger l’esprit allemand.

12. Nous exigeons que les facultés soient le sanctuaire de l’identité allemande et le lieu d’où partira l’offensive de l’esprit allemand dans toute sa puissance.

On le constate, l’universitaire, même au sein d’idéologies totalitaires (et peut-être surtout en leur sein) dispose de rôles considérables à jouer. Celui de gardien du sanctuaire d’abord. Évocation du sacré de la nation (« l’esprit allemand »), ou nationalisme, qui est donc bien une religion parmi d’autres. Mais aussi celui du conquérant : car toute idéologie a besoin de prosélytes lettrés capables de défendre et justifier doctement ce qui ne relève, in fine, que de la croyance subjective – et de supplanter d’autres pensées ou croyances (« l’intellectualisme juif et ses chimères libérales », dans le cas nazi).

Mais quel universitaire d’aujourd’hui ne s’exclamerait : « c’est de l’idéologie nazie ! Et mon travail est scientifique : j’observe le réel d’un œil rationnel et désintéressé. La notion même d’idéologie est néfaste, non-scientifique, abandonnée, non-sérieuse : c’est du passé! »

Pourtant il faut bien se la poser, cette question de l’idéologie ! D’une part pour confronter l’objectivisme, et d’autre part pour être capable de reconquérir le sens de l’Histoire.

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Verbiage philosophique

Combien de temps perdu ?

Combien d’années passées ?

A ne produire que des questions sans réponse, à brasser de l’air ? A errer dans la production hallucinante de termes et de concepts sans moyens ni fins, dans l’onanisme de son autosatisfaction intellectuelle ?

Voilà pourquoi être philosophe, ou intellectuel, ne peut être une profession – sauf si ces capacités se mettent au service d’une cause, et dans ce cas deviennent moyen ; mais dans ce cas, le philosophe entreprend la politique, et alors il doit se déshabiller et avouer ses mobiles et tentations secrètes : ne plus faire preuve d’aucune dissimulation logique (au contraire de fausses sciences) et assumer ses influences profondes, jusqu’à entreprendre de nécessaires confessions.

L’écriture est une aventure. Au début c’est un jeu, puis c’est une amante, ensuite c’est un maître et ça devient un tyran.

– Churchill

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De l’importance des (re)définitions

Les deux grands intellectuels ennemis sont au moins d’accord là-dessus, et ce n’est pas moi qui vais les contredire :

La fonction de l’écrivain est d’appeler un chat un chat. Si les mots sont malades, c’est à nous de les guérir.

– Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?

 

Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.

– Attribué à Albert Camus

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Saucissonnage intellectuel contre pensée systémique

On sait faire des tranches de saucisson à partir d’un porc. Mais il est impossible de recréer le porc à partir de tranches de saucisson.

Alors pourquoi s’acharner à saucissonner les enjeux du monde en autant de variations parcellaires et par conséquent partiales : sujets sociaux, économiques, juridiques, écologiques, etc.

Saucisson de cochon
Essayez de m’en faire un cochon !

Tripes de Cochon
C’est bien essayé, mais ça ne marche pas !

On voit bien qu’entre le cochon et la charcuterie, c’est une relation à sens unique !

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Les Lumières comme modèles – révérence et réflexion

A l’article Philosophe de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, on peut lire ce qui reflète l’idéal philosophique des Lumières :

Les autres hommes sont déterminés à agir sans sentir ni connaître les causes qui les font mouvoir, sans même songer qu’il y en ait. Le philosophe au contraire démêle les causes autant qu’il est en lui, et souvent même les prévient, et se livre à elles avec connaissance: c’est une horloge qui se monte, pour ainsi dire, quelquefois elle-même.

La vérité n’est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, et qu’il croie trouver partout; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l’apercevoir.

Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne croit point être en pays ennemi; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre; il veut trouver du plaisir avec les autres; et pour en trouver, il faut en faire. Ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le hasard ou son choix le font vivre et il trouve en même temps ce qui lui convient : c’est un honnête homme qui veut plaire et se rendre utile.

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