Archives de catégorie : Relativisme

Les camps du bien

En passant simplement au pluriel, en parlant des camps du bien et non plus du camp du bien, on détruit cette aberration anti-politique qui consiste à s’auto-proclamer dans le camp des vertueux, le camp de ceux qui ont toujours raison.

Cela permet aussi de s’affranchir d’un autre fantasme : puisqu’il n’existe pas de « camp du bien », alors

le camp du bien ne gagnera pas.

Cette niaiserie qui consiste à croire que l’Histoire suit un beau chemin balisé, « notre route est droite mais la pente est rude », comme l’a raffariné Raffarin, qui conduit irrémédiablement à un sommet de bonheur, vole en éclats.

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Charlie Hebdo : comment peut-on être irresponsable ?

Charlie Hebdo se déclare « journal irresponsable ». Mais comment peut-on se dire irresponsable lorsque l’on aborde des sujets éminemment sensibles et politiques ? Je ne cherche pas à répondre ici à la question du bien fondé de telle ou telle caricature, mais uniquement à la question de la responsabilité dans l’expression publique.

Charlie Hebdo responsable ?
Charlie Hebdo responsable ?

Comme si le fait de se déclarer « irresponsable » ouvrait la voie à tout et n’importe quoi. Ainsi, il serait facile de tout accepter : on pourrait tout dire, tout écrire, tout dessiner, etc… en faisant par avance sa déclaration d’irresponsabilité.

Pourquoi pas, après tout ?

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Positionnement par rapport au travail universitaire

Ceux qui parviennent au statut d’enseignant universitaire n’imaginent même pas qu’une évolution politique puisse avoir le moindre effet sur leur carrière ; ils se sentent absolument intouchables.

– Houellebecq, Soumission

Cette phrase est représentative de la qualité de la production de Houellebecq : elle ne dit pas grand chose, ou elle en dit énormément. Le lecteur doit faire le boulot, car Michel est déjà passé à autre chose. En lisant en écrivant, suivons donc une devise de Gracq !

Sûrement ont-ils raison, ces universitaires parvenus, de ne trop rien craindre. A moins que cette évolution politique ne soit d’une ampleur telle qu’elle mette fin à l’Etat de droit républicain, mais même dans ce cas, ce n’est pas la carrière de l’universitaire qui serait remise en cause (on lui demanderait quelques ajustements, on supprimerait des bibliothèques certains ouvrages…). C’est sur un plan privé que les véritables changements auraient lieu : il ne faudrait pas avoir la « mauvaise » couleur de peau ou la « mauvaise » religion… Car même les nazis, grands brûleurs de livres, n’ont pas eu à l’égard du milieu universitaire d’attitude si belliqueuse. Dans leurs « 12 propositions contre l’esprit non-allemand », ils demandèrent « simplement » une nouvelle discipline ; extraits :

6. Nous voulons éradiquer le mensonge, nous voulons marquer la trahison au fer rouge, nous voulons que les étudiants se trouvent non pas dans un état d’ignorance, mais de culture et de conscience politique.

8. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à apprendre et à faire des choix de façon autonome. [une autonomie bornée, donc…]

10. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à triompher de l’intellectualisme juif et de ses chimères libérales sur la scène intellectuelle allemande.

11. Nous exigeons que les étudiants et les professeurs soient sélectionnés en fonction des garanties qu’ils présentent de ne pas mettre en danger l’esprit allemand.

12. Nous exigeons que les facultés soient le sanctuaire de l’identité allemande et le lieu d’où partira l’offensive de l’esprit allemand dans toute sa puissance.

On le constate, l’universitaire, même au sein d’idéologies totalitaires (et peut-être surtout en leur sein) dispose de rôles considérables à jouer. Celui de gardien du sanctuaire d’abord. Évocation du sacré de la nation (« l’esprit allemand »), ou nationalisme, qui est donc bien une religion parmi d’autres. Mais aussi celui du conquérant : car toute idéologie a besoin de prosélytes lettrés capables de défendre et justifier doctement ce qui ne relève, in fine, que de la croyance subjective – et de supplanter d’autres pensées ou croyances (« l’intellectualisme juif et ses chimères libérales », dans le cas nazi).

Mais quel universitaire d’aujourd’hui ne s’exclamerait : « c’est de l’idéologie nazie ! Et mon travail est scientifique : j’observe le réel d’un œil rationnel et désintéressé. La notion même d’idéologie est néfaste, non-scientifique, abandonnée, non-sérieuse : c’est du passé! »

Pourtant il faut bien se la poser, cette question de l’idéologie ! D’une part pour confronter l’objectivisme, et d’autre part pour être capable de reconquérir le sens de l’Histoire.

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Le prix du savoir

Toujours se méfier des gens qui disent vouloir votre bien et qui commencent par s’intéresser à vos biens !

Ceux-là, quels que soient leur production, leur attitude, leur sympathie apparente et leur mode de communication, pensent toujours à une chose avant tout : eux-mêmes.

Car, qu’est-ce qu’écrire et faire publier un livre ? Un moyen, d’abord, de gagner sa vie : par conséquent, il faudrait fixer un prix au savoir, donc, nécessairement, s’intéresser à l’argent que le public serait prêt à donner pour acquérir l’ouvrage en question. La relation de l’écrivain au lecteur, Sartre la définit dans Qu’est-ce que la littérature ? :

L’écrivain, homme libre s’adressant à des hommes libres, n’a qu’un seul sujet : la liberté.

Posture idéaliste que Sartre reconnaît lui-même comme telle. Il semble qu’une relation de nature bien plus pragmatique lui soit substituée : celle de l’offre et de la demande – une économie de marché du savoir.

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Hollande, ce fier vendeur d’armes

Parfois, on peut avoir l’impression de vivre sur une autre planète. C’est mon cas, quand j’entends parler des contrats mirobolants passés par Hollande pour la vente des avions de guerre haut-de-gamme de Dassault (les Rafale), de satellites de surveillance ou d’autres instruments de guerre (hélicoptères, frégates, navires Mistral initialement destinés à la Russie, missiles) à l’Égypte, à l’Inde, au Qatar, au Koweït, aux Emirats Arabes Unis ou encore (et surtout) à l’Arabie Saoudite. Une auto-satisfaction cyniquement neutre est, comme toujours dans le monde des affaires, de mise :

Selon un rapport du ministère de la Défense publié mardi […] « Ce résultat constitue la meilleure performance à l’export de l’industrie française de défense depuis quinze ans ». […]

Il est d’autant plus remarquable qu’il a été obtenu sur un marché difficile, caractérisé à la fois par une contraction de la demande (notamment en Europe et aux Etats-Unis) et une concurrence particulièrement vive du côté de l’offre », ajoute-t-il.

Cette tendance devrait se confirmer en 2015 après la signature en février d’un contrat pour la fourniture de 24 avions de combat Rafale à l’Egypte et d’un autre en mai pour la livraison de 24 appareils de même type au Qatar.

Forte de cette « dynamique d’augmentation de ses parts de marché », la France est ainsi « solidement établie dans la durée » au quatrième rang des exportateurs mondiaux d’armement derrière les Etats-Unis et la Russie, la Chine tendant à s’installer au 3e rang.

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Le cynisme numérique

Voilà que nos nouvelles Rock Stars ne sont pas si rock’n’roll qu’elles en ont l’air… Bon, certes, se balader toute la journée en tongs et en sweat-shirt n’a rien de rock’n’roll, quoique…

Big Lebowski
Dans la famille du Dude, je voudrais…

zuckerberg
… le geek !

Enfin, voilà, rock’n’roll comme le Dude (The Big Lebowski), quoi… d’une coolitude démesurément cool.

Ces rock stars numériques suscitent la même fascination auprès de la jeunesse que les rock stars old-school qui hurlaient dans les micros et fracassaient des guitares sur scène. La biographie de Jimmy Iovine est d’ailleurs emblématique de cette évolution : vieux routier des studios, producteur, fondateur d’une maison de disques, hommes d’affaires (co-fondateur de Beats avec Dr. Dre) puis patron de Apple Music. Il déclare dans Wired :

Perhaps it’s no coincidence that standout technologists are referred to as “rock stars”—they’re providing the sense of connection and awe that their musical forebears once did. Teenagers used to fantasize about becoming the next Jimmy Page; now they dream of becoming the next Larry Page. They wax nostalgic about the first time they used Snapchat, not the first time they heard “Smells Like Teen Spirit.”

“If you tell a kid, ‘You’ve got to pick music or Instagram,’ they’re not picking music,” Iovine says. “There was a time when, for anybody between the ages of 15 and 25, music was one, two, and three. It’s not anymore.”

(Peut-être n’y a-t-il aucune coïncidence dans le fait que l’on qualifie de « rock stars » les génies des nouvelles technologies  – ils produisent le même sentiment de connexion et d’admiration que leurs aïeux musicaux. Les adolescents fantasmaient de devenir le prochain Jimmy Page ; maintenant, ils rêvent de devenir le prochain Larry Page. Ils deviennent nostalgiques de la première fois où ils ont utilisé Snapchat, pas de la première fois où ils ont écouté « Smells Like Teen Spirit« . « Si vous demandez à un gamin ‘choisis entre la musique et Instagram’, il ne choisira pas la musique », dit Iovine. « Il fut un temps où, pour tous les jeunes de 15 à 25 ans, la musique était l’alpha et l’omega. Ce n’est plus le cas désormais. »)

Mais si les rock stars s’étaient métamorphosés en une autre forme de rock star, il n’y aurait pas de souci. L’inconvénient, c’est que ces nouvelles rock stars ressemblent plus à leurs aînés qu’ils ne les bousculent. Ça ne sent plus tellement le Teen Spirit, mais plutôt le White Spirit conservateur et cynique (WASP) – en d’autres termes : ça pue.

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Le cynique espoir du patronat mondialisé

Le cynisme est la seule forme sous laquelle les âmes basses frisent ce que l’on appelle la sincérité.

– Nietzsche, Par-delà le bien et le mal

 

Au détour de mes lectures de presse, je n’ai pu m’empêcher de remarquer le formidable conformisme de pensée de notre patronat mondialisé. Ces grands patrons d’entreprises mondiales semblent hantés par la même mégalomanie messianique : une foi en eux-mêmes et en leur rôle fondamental au sein d’entreprises qui font chaque jour un monde meilleur.

Deux exemples en particulier : Carlos Ghosn (PDG de Renault-Nissan) et Patrick Pouyanné (successeur de l’écrasé Christophe de Margerie aux commandes de Total).

Patronat n°2 : Patrick Pouyanne
Pendant que Pouyanné se marre… (calife à la place du calife…)

Patronat n°1 : carlos ghosn
… Ghosn donne des cours très particuliers de conduite aux néophytes (« Alors là, c’est la radio. Il y a la climatisation aussi… – Ah, quand même, c’est moderne Renault ! – Oui, on a mis un GéPéeSse et le bloutousse aussi. – Pas croyable ! On est vraiment en avance dans la domotique en France !« )

Les interventions de ces grands patrons auprès des médias sont toujours un savant mélange de communication promotionnelle et de pseudo-expertise sur leur domaine (en réalité, ils ne comprennent que les executive summariesnotes pour les décideurs – que leurs équipes rédigent à leur intention).

Voyons de quoi il retourne.

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Robert Ménard : statistiques ethniques en ridicule

Petite agitation habituelle dans le Landerneau politique : cette fois, il s’agit du méchant, mauvais, horrible, atroce, frontiste, fasciste Robert Ménard qui dirige d’une main de fer cette pauvre ville de Béziers.

Mais rendez-vous compte ! Les fantômes du passé ressurgissent, la bête immonde revient ! Voilà-t’y-pas qu’on compte les gens, dans le Sud de la France ! Et pour quoi faire ? C’est évident, pardi ! De la déportation, de l’extermination de masse ! Ces gens-là sont comme ça, ils seront toujours possédés par leurs instincts de mort !

Si seulement le ridicule pouvait tuer !

A chaque fois que j’entraperçois ce genre de tirades rocambolesques, je me remémore exactement la fin du superbe Croix de Fer (Cross of Iron) de l’excellent Sam Peckinpah : le rire hystériquement moqueur de James Coburn et la citation finale de Bertolt Brecht, en lettres de sang :

Don’t rejoice in his defeat, you men. For though the world stood up and stopped the bastard, the bitch that bore him is in heat again.

(ma traduction : ne vous réjouissez pas de sa défaite, vous autres. Car même si le monde s’est dressé pour en finir avec le bâtard, la salope qui lui servit de mère est de nouveau en chaleur.)

James-Coburn-Cross-of-Iron
Rolf Steiner (James Coburn) – un mec à qui on ne la fait pas

 

Mais de quoi parle-t-on, au juste ?

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Tsipras : leçons d’opportunisme

On continue (jusqu’à quand ? la prochaine scène…) avec la tragi-comédie grecque ! Après des débuts hautement prometteurs, l’ensemble de la troupe remet le pied à l’étrier pour nous livrer une seconde charge de rires et de larmes.

Mais il semble que parmi cette bande de guignols, il en est un qu’on avait sous-estimé et qui revient pour voler la vedette : c’est Alexis Tsipras !

Pour montrer qui c’est le patron, il entonne un hymne à sa légende :

Je suis pour le communisme

Je suis pour le socialisme

Et pour le capitalisme

Parce que je suis opportuniste

Jacques Dutronc, L’Opportuniste (live 1992)

Car Tsipras en est un beau ! De l’espèce d’opportuniste politicien la plus cynique qui soit !

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