Archives de catégorie : Economie

De la pauvreté, de la misère, de l’humiliation

Oui je sais, on a nos problèmes – le Brexit, l’Euro 2016, le mauvais temps, les réservations pour les vacances. Mais on sait quand même s’accorder quelques minutes de pensée recueillie et pleines de solennité (façon debout, bras en V, mains croisées, face fermée-pokerface – si cela vous rappelle des images officielles de représentants du peuple tout aussi officiels, vous y êtes !) pour la pauvreté dans le monde : on est pas des bêtes !

C’est que les pauvres pauvres, quoi, enfin… vous savez. Oui, on sait qu’on s’en fout, et bien profond. La roue tourne, chance pour les uns, malchance pour les autres, ainsi va le monde, ou peut-être que Dieu récompense les bons et punit les mauvais ? Monceaux de balivernes et foutaises, fabrique hypocrite de consciences lavées.

Pourtant, une mauvaise conscience d’occidentaux éveillés devrait nous donner quelques nuits blanches, de la peine, de la colère et de la rage.

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Le mythe de la croissance économique infinie

Tout comme le « capitalisme » ne peut être confondu avec cette forme particulière qu’est le « capitalisme bourgeois », la « croissance » (ou développement, ou progrès) ne saurait être restreinte à la croissance économique. C’est de cette dernière précisément dont je vais parler ici, ayant déjà donné mon point de vue sur la croissance (tout court) et ses détracteurs ici et . Mais de mauvaises habitudes poussent la plupart des personnes à dire « croissance » quand ils désignent en réalité la croissance économique – choses mal nommées qui ajoutent donc du malheur au monde, selon l’expression de Camus.

Quelles sont les tendances pour demain : croissance économique, seras-tu là ? Stagnation séculaire à venir ou simple mouvement cycliqueun bon vieux Kondratiev-Schumpeter, notamment, mené par les avancées technologiques ? Rien ne sert de demander aux oracles, nous avons toutes les cartes en main (ou, à défaut, il faut nous en doter) pour créer le monde que nous désirons, et cesser de vivre dans celui que nous subissons : la fuite en avant cynique du capitalisme bourgeois et sa dévotion au mythe de la croissance économique infinie, dont je veux exposer ici les rouages.

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Saint pouvoir d’achat

Si le mythe de la croissance économique infinie est un large système englobant, une gangue économico-historico-culturelle, une civilisation en soi, une conception du monde, alors le pouvoir d’achat en est son incarnation.

Incarnation à double titre. Incarnation personnelle, d’abord, parce que les individus de la civilisation de la croissance infinie (ou capitalisme bourgeois) se définissent par leur pouvoir d’achat, s’identifient à lui (ils deviennent ce qu’ils possèdent), lui sont ontologiquement associés (c’est-à-dire, assimilés à leur pouvoir d’achat d’un point de vue extérieur pragmatique et dépendants de lui dans chaque aspect de leur existence – de leur être-au-monde) : chacun est une part du mythe de la croissance économique infinie, à la fois acteur et jouet de ce mythe.

Incarnation collective, aussi, car c’est par le pouvoir d’achat que le politicien (grand prêcheur du mythe) s’adresse à tous à la fois, et que chacun, en tant qu’ENUC, se sent concerné par ce discours : le pouvoir d’achat permet de constituer la collectivité, le bien commun, le symbole unanime, le crucifix du mythe de la croissance infinie. Il constitue l’interface concrète entre le vaste monde désincarné et lointain (que l’on aurait toutes les raisons d’ignorer – selon certains) et la routine locale (à laquelle est conférée une suprême importance – toujours par les mêmes) – les querelles de clocher toujours prépondérantes sur les grands enjeux de notre temps : si les médias de masse abordent les soubresauts géopolitiques d’une région du monde que le matérialiste saurait à peine situer sur une mappemonde vierge, c’est parce que, au-delà du sensationnalisme et du spectaculaire terrifiant des images et des récits, ces événements brumeux menacent son porte-monnaie.

Dans la civilisation occidentale actuelle (et sa large exportation de par le monde), le pouvoir d’achat semble constituer, plus encore qu’une simple préoccupation, qu’une proximité sociale ou qu’un lien hiérarchique, à la fois notre propre intimité et notre rapport public au monde.

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La frugalité comme inventive nécessité

Il y a quelque chose de dommageable à vivre au XXIe siècle : c’est que le monde est devenu une terra cognita. Pire, c’est un territoire qui paraît bien trop réduit pour l’espèce humaine, à tel point qu’on se le dispute toujours plus avidement. A tel point aussi que l’on en épuise les ressources. Bref, dans ce monde fini, il semble que l’on doive désormais apprendre à vivre parcimonieusement, c’est-à-dire à faire preuve de retenues diverses, choses désagréables s’il en est, ô combien contraires à nos passions débordantes et difficiles à admettre ; des contraintes à adopter pour des siècles certainement, que l’on désigne sous le nom de frugalité.

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Le travail au futur : artisanat ou industrialisation ?

Quel travail pour nous demain ? Derrière cette question, il en est de plus vastes : quelle économie, quelle société, quelle civilisation, et quel monde ? Le travail, c’est la richesse individuelle et les richesses des civilisations : c’est l’insertion du capital dans un processus de production et d’accumulation nommé capitalisme primaire. Des capitalismes, on peut en arranger à toutes les sauces, qui génèrent autant de formes de travail, de modes de travailler, d’organisation des relations de (et au) travail.

Dans les économies peu développées et morcelées, c’est l’artisanat qui domine : des acteurs indépendants s’organisent localement pour répondre en majorité aux besoins de la vie matérielle (besoins primaires). Dans les économies centralisées et développées où règne le capitalisme bourgeois, c’est l’industrialisation qui domine : industrialisation non pas comme un secteur d’activité dominant, mais comme un mode d’organisation du travail dominant. Le commerce (activité du secteur tertiaire), par exemple, devient industriel lorsqu’il est piloté par des processus précis, modélisés et optimisés avec force calculs et retours d’expérience, et que la sagacité et l’opiniâtreté de l’agent commercial ne sont plus attendues comme qualités premières, mais constituent des résidus non-intégrables d’humanité, des aspects complexes de la relation qui échappent encore (et pour combien de temps ?) à la modélisation – c’est-à-dire à la machine.

Que cette machine prenne corps dans un robot sur une chaîne de montage, dans la complexité algorithmique d’une intelligence artificielle, dans la procédure administrative d’un workflow (procédure informatisée de travail collaboratif) d’entreprise ou dans le conditionnement socioculturel des individus, elle démontre toujours qu’une même approche est à l’œuvre : celle de l’industrialisation, c’est-à-dire d’une rationalisation scientiste (Taylorisme) ayant pour objectif la résolution efficace et à moindre coût d’un problème de grande ampleur quantitative.

Artisanat de production quasi-unitaire d’un côté, massification de l’autre : l’avenir, après le tournant de la Révolution industrielle, semblerait tout tracé – ou il le semblait, avant que certains n’entrevoient une nouvelle révolution, faite de courants variés (et potentiellement convergents) : l’économie du partage, l’économie numérique, l’ « uberisation« , etc.

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Du capitalisme

La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une « immense accumulation de marchandises ».

– Karl Marx, Le Capital

Ainsi Marx introduit-il l’œuvre de sa vie : le capitalisme comme processus d’accumulation de marchandises. Mais peut-on en rester là, à cette définition « de combat », militante ? Car c’est sous la plume des socialistes communistes Marx et Engels que naît cette définition toute particulière du capitalisme : il est étonnant et notable que l’on n’ait jamais contesté la paternité du sens de ce terme à ceux-là mêmes qui en font la critique !

A vrai dire, il y a un grand nombre de sens que revêt le mot « capitalisme », mais aucun ne plaide pour lui : rien ne semble pouvoir sauver ce vilain petit canard… Même Fernand Braudel, grand historien du capitalisme notamment, a contribué à l’opprobre ; dans La dynamique du capitalisme, il déclare :

Vous ne disciplinerez, vous ne définirez le mot capitalisme, pour le mettre au seul service de l’explication historique, que si vous l’encadrez sérieusement entre les deux mots qui le sous-tendent et lui donnent son sens : capital et capitaliste.

Le capital, réalité tangible, masse de moyens aisément identifiables, sans fin à l’œuvre ; le capitaliste, l’homme qui préside ou essaie de présider à l’insertion du capital dans l’incessant processus de production à quoi les sociétés sont toutes condamnées ; le capitalisme, c’est en gros (mais en gros seulement), la façon dont est conduit, pour des fins peu altruistes d’ordinaire, ce jeu constant d’insertion.

Il y a dans cette citation énormément d’idées qui méritent d’être reprises et développées, ce à quoi je vais me livrer ici. Pour conclure, on verra si, fidèle au conte, le vilain petit canard ne finit pas par se transformer en cygne (l’espoir fait vivre !).

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Homo pragmaticus : du matérialisme

Ce qui est créé par l’esprit est plus vivant que la matière.

– Baudelaire

Il semble difficile de pouvoir donner raison à Baudelaire, dans un temps où tout est matériel, concret, mesurable et quantifiable (et pour les domaines où l’on ne dispose pas encore d’instruments de mesure, ils seront bientôt inventés). La matière a l’air plus vivante que l’homme et ses pensées, et on lui accorde bien davantage d’égards. Le souffle (ou plutôt l’expiration) matérialiste, utilitariste, scientiste et objectiviste exhale une tiède puanteur mécanique et intoxicante d’huile, de gaz d’échappement et de particules métalliques. Dans la fabrique, des hommes de chair prennent place entre les machines-outils rutilantes de leur sueur noire. Ils tentent de servir au mieux une logique qui les dépasse mais qu’ils ont appris à vénérer comme un processus vital bienfaiteur et infini. Les chairs brutalisées et concassées sont autant de démonstrations du sacrifice, comme vertu du martyr, qui s’exhibent fièrement.

Metropolis, de Fritz Lang
La glorieuse Metropolis (Fritz Lang)

Et ces bienfaits et cette fierté sont autant individuels que collectifs, corroborés par le fait qu’eux aussi, en tant qu’éléments matériels, sont mesurables et quantifiables. Il existerait donc un horizon indépassable, et c’est, ô joie ! celui dans lequel nous serions d’ores et déjà projetés.

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Pour l’argent ?

L’argent qu’on possède est l’instrument de la liberté, celui qu’on pourchasse est celui de la servitude.

– Jean-Jacques Rousseau (qui n’avait pas d’argent)

Ah, l’argent ! Avec Scarface, on se dit que c’est le Graal :

Cogno, regarde ça, putain d’oignons, j’ai des mains faites pour l’or et elles sont dans la merde !

Scarface, Al Pacino
Il me tue, ce turbin ! (Scarface, de Oliver Stone)

Un film que tout le gangsta-rap vénère comme une Bible du savoir-vivre et du savoir-être. Si vous pensiez m’assimiler à ce genre de lascar, vous faites fausse route.

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Le prix du savoir

Toujours se méfier des gens qui disent vouloir votre bien et qui commencent par s’intéresser à vos biens !

Ceux-là, quels que soient leur production, leur attitude, leur sympathie apparente et leur mode de communication, pensent toujours à une chose avant tout : eux-mêmes.

Car, qu’est-ce qu’écrire et faire publier un livre ? Un moyen, d’abord, de gagner sa vie : par conséquent, il faudrait fixer un prix au savoir, donc, nécessairement, s’intéresser à l’argent que le public serait prêt à donner pour acquérir l’ouvrage en question. La relation de l’écrivain au lecteur, Sartre la définit dans Qu’est-ce que la littérature ? :

L’écrivain, homme libre s’adressant à des hommes libres, n’a qu’un seul sujet : la liberté.

Posture idéaliste que Sartre reconnaît lui-même comme telle. Il semble qu’une relation de nature bien plus pragmatique lui soit substituée : celle de l’offre et de la demande – une économie de marché du savoir.

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Le complexe Complexe Militaro-Industriel (CMI)

Le désarmement, dans l’honneur et la confiance mutuels, est un impératif permanent. Ensemble nous devons apprendre à composer avec nos différences, non pas avec les armes, mais avec l’intelligence et l’honnêteté des intentions.

– Dwight Eisenhower, 34e Président des USA (1953-1961), discours d’adieu, 17 janvier 1961

C’est ainsi qu’un président américain, dont l’exceptionnelle carrière militaire fut consacrée par le commandement de l’opération Overlord (Bataille de Normandie) qui libéra la France et conduit à la capitulation allemande, un général cinq étoiles (« General of the Army »), puis chef d’Etat Major de l’US Army, et enfin commandant suprême de l’OTAN, c’est ainsi donc qu’un ex-militaire haut gradé, chef de la première puissance mondiale, fit ses adieux au public : en prônant le désarmement et la paix d’une part, et en avertissant sur les risques encourus par le développement sans précédent du complexe militaro-industriel aux Etats-Unis :

Cette conjonction d’une immense institution militaire et d’une grande industrie de l’armement est nouvelle dans l’expérience américaine. Son influence totale, économique, politique, spirituelle même, est ressentie dans chaque ville, dans chaque Parlement d’Etat, dans chaque bureau du Gouvernement fédéral. Nous reconnaissons le besoin impératif de ce développement. Mais nous ne devons pas manquer de comprendre ses graves implications. Notre labeur, nos ressources, nos gagne-pain… tous sont impliqués ; ainsi en va-t-il de la structure même de notre société.

Mais qu’est-ce que ce fameux complexe militaro-industriel (CMI) ?

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