Un parti musulman en France ?

Comme on aime certainement se faire peur – et que par conséquent les médias raffolent de ce type d’informations « à sensations », on a eu droit à un (court) épisode « le danger d’un parti musulman en France » à la veille des élections départementales de mars 2015. Un parti, nommé UDMF (Union des démocrates musulmans de France), qui « agite » la classe politique. Voilà une première leçon : tout ce qui « agite » la classe politique actuelle devrait probablement être traité avec le plus grand mépris.

Kamel Daoud juge cette situation préoccupante. On le comprend, eu égard à sa position vis-à-vis de toute forme de fanatisme islamiste.

Quant à moi, et bien qu’à titre personnel je ne souscrive à aucune forme d’assimilation religieuse qui guiderait mes choix de vie, je n’y vois qu’une expression démocratique banale – dont le devenir possible est à laisser aux mains du peuple, et non de quelques censeurs du bien et du mal.

Premièrement, si le programme et la forme de ce parti sont compatibles juridiquement avec la constitution, dans ce cas il doit être admis sans restriction possible.

On a trop joué le jeu du FN en le diabolisant de manière outrancière et ridicule. Quand on nomme « fasciste » un parti, il faut savoir de quoi l’on parle. Les mots ont un poids. Or, on n’a jamais entendu le FN prôner des mesures attentatoires aux libertés ou à la sécurité de telle ou telle catégorie de population. De même pour l’UDMF : ce n’est pas parce que l’on se revendique « musulman » que l’on fait nécessairement de l’appartenance à cette religion une obligation ou que l’on va subordonner les non-musulmans.

 

Deuxièmement, sur le risque de voir se répandre des partis confessionnels ou communautaires, il faut immédiatement se rassurer. Tout simplement car, à une échelle nationale, on gouverne toujours au centre, dans le consensus – avec ce risque avéré pour la classe politique de se dédire de ses engagements les plus partisans une fois arrivé au pouvoir, et d’être confiné à une forme d’inaction ou de politique molle.

La nécessité de consensus est dû à la nature même de l’Etat-nation : dès lors que son territoire et sa population acquièrent une taille critique, des dissensions et des subdivisions (frontières à l’intérieur des frontières) apparaissent. L’Etat peut réagir de deux façons : le fédéralisme (donner de l’indépendance locale) ou la centralisation (vision despotique de l’Etat tout puissant, héritée de la monarchie).

Le fédéralisme impose de lui-même à l’Etat des compromis et négociations avec les pouvoirs locaux : l’institution d’une fédération établit les règles de partage des pouvoirs. Au contraire, l’Etat-centralisateur est altéré de façon indirecte, ou forcée : c’est parce qu’il doit défendre une uniformité qui est garante de sa persistance en tant que nation centralisée, qu’il est forcé d’apaiser les dissensions naissantes, de transiger, de pactiser, d’acheter la complicité des potentats locaux, voire de renoncer à ses vues initiales (tout en prenant soin de ne pas écorner son prestige apparent).

 

Troisièmement, localement, que des partis « clivants » idéologiquement (FN, Front de Gauche, etc.) puissent obtenir des victoires auprès d’ensembles d’individus qui ont été conduits (historiquement, culturellement, etc.) à se rapprocher de ces idées, il n’y a là rien de choquant et tout de démocratique : ce qui serait à questionner, c’est bien « pourquoi » – et c’est souvent par déception et désillusion – ils se tournent vers des formations politiques « extrêmes ».

 

Quatrièmement, pourquoi ne pas laisser faire la preuve ? Cela permettrait de jauger la capacité de ces partis à mettre en application leurs idées, et d’afficher au grand jour les résultats obtenus. L’avantage, c’est qu’au sein d’un pays, il est facile de déménager (même si en France, cette culture du nomadisme est tout juste naissante) : pas de frontière, pas de barrière de la langue. Contrairement à un libyen, un somalien, un syrien ou un irakien, s’il fallait fuir la catastrophe sanguinaire ou despotique que l’on nous sert pour nous affoler, on le pourrait immédiatement, ce qui viderait la collectivité locale défaillante de toute forme d’influence et de légitimité, et discréditerait pour longtemps des doctrines délirantes (qui ne font recette que parce qu’elles n’ont jamais été mises en œuvre jusqu’ici – et ne risquent pas vraiment de l’être).

L’échelon local devrait être un laboratoire d’idées et de tentatives politiques, pas un tremplin pour jeunes arrivistes en quête d’une assise territoriale (qu’ils vont conserver des décennies) ou une sinécure pour anciens ministres.

 

Cinquièmement, sur l’ancrage local avant la conquête nationale (comme les jeunes loups des partis traditionnels – archaïques – s’y prennent) :

  • soit on a affaire à une politique inutile et/ou néfaste, et les électeurs en majorité s’en détourneront,
  • soit il s’avère que des réponses concrètes et efficaces sont apportées, et dans ce cas le mandat sera reconduit et pourra faire tâche d’huile.

Si ce mouvement est « vertueux » (ou du moins politiquement solvable), quel conservatisme anti-démocratique pourrions-nous invoquer pour interdire sa propagation?

Je ne dis pas que les extrêmes (FN, extrême gauche, ou un exotique parti musulman) parviendront à rendre les choses meilleures (je parie au contraire sur leur échec), mais ils prendront à coup sûr du terrain si les partis « libéraux » (au sens où je l’entends : garants des libertés du peuple et non de leur propre conservation) ne répondent pas aux enjeux qui leur sont posés.

 

Sixièmement, la pire des solutions serait, contrairement à ce que Daoud écrit (« une partie de la solution est d’absorber la demande « islamiste » ou musulmane par des ailes plus ouvertes des partis traditionnels »), de « draguer » les voix de cet électorat :

  • comme l’UMP a tenté de le faire avec le FN,
  • comme le PS l’a fait avec le PC, puis Les Verts.

Dans tous les cas, cela crée des dissensions irréconciliables au sein des partis :

  • mouvements « droite forte » contre « gaullistes modérés » à l’UMP (« Les Républicains Taquins ») entraînant un regain d’intérêt pour le FN suite à la déception sarkozyste,
  • « frondeurs » au PS, scission des Verts avec le gouvernement Hollande-Valls et résurgence des partis de la gauche de la gauche qui vident le PS avant de combattre le FN (Mélenchon).

La pire des solutions, qui conduit précisément à un affaiblissement idéologique de ceux qui, à trop vouloir jouer le compromis, ont versé dans la compromission.

Dans aucun cas, cela n’a permis de juguler des dérives extrémistes ou communautaristes de certaines parties de l’électorat. Loin aussi de rassembler, ces positionnements et ces alliances bancales favorisent la dispersion des électeurs et le rejet des partis traditionnels à cause du sentiment d’avoir été trahis par des promesses non tenues et des discours cyniques de pure forme.

Seuls les « purs », ceux qui ne font alliance avec personne parce que désignés par les partis majoritaires comme les « mauvais » ou les « infects », sont perçus comme des alternatives réelles.

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