Archives de catégorie : Radicalité

Mai 68 : héritages en floraison

Il faut, dit-on, « liquider l’héritage de mai 68 ». Encore faudrait-il savoir de quoi il retourne : que furent les événements de 68, quelles idées ont-elles été portées, qu’est devenue la « génération 68 », et enfin, au-delà des slogans et des caricatures, quelles leçons tirer de mai 68 ?

cohn-bendit mai-68
Bien avant NTM, Dany-le-Rouge te fait la nique !

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Ma relation à l’Occident

Il est probablement impossible, pour des gens ayant vécu et prospéré dans un système social donné, d’imaginer le point de vue de ceux qui, n’ayant jamais rien eu à attendre de ce système, envisagent sa destruction sans frayeur particulière.

– Houellebecq, Soumission

Mais ce n’est pas mon cas, quoi qu’il m’en coûte de l’admettre, car les choses seraient alors tellement plus simples. Elles ne le sont pas ; elles ne le sont que pour ceux qui se bercent d’illusions et ne voient toujours que la face des choses qu’ils veulent voir. Les irresponsables.

Je ne serai donc pas de ceux qui  veulent jeter le bébé avec l’eau du bain. Car, paradoxalement, ce qui permet d’être occidental, ce qui fait la nature de l’être occidental, c’est le doute viscéral associé à la rationalité du cogito de Descartes, c’est-à-dire le fait de se demander en permanence s’il est occidental, qu’est-ce que l’Occident, et est-ce que l’Occident existe. Quitte, par conséquent, à renier, pour les besoins de cette introspection, sa propre réalité. Quelle autre civilisation s’est construite sur le doute d’elle-même et perpétue sa tradition en mettant au monde, génération après génération, des individus dans le doute ?

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La quête de sens

J’en étais à ce point précis où se dessine le choix crucial d’une vie. Ayant pris conscience de ma mortalité, je pouvais continuer à vivre comme une bête ou devenir un homme.

Voici comment je conçois la quête de sens.

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Pour l’argent ?

L’argent qu’on possède est l’instrument de la liberté, celui qu’on pourchasse est celui de la servitude.

– Jean-Jacques Rousseau (qui n’avait pas d’argent)

Ah, l’argent ! Avec Scarface, on se dit que c’est le Graal :

Cogno, regarde ça, putain d’oignons, j’ai des mains faites pour l’or et elles sont dans la merde !

Scarface, Al Pacino
Il me tue, ce turbin ! (Scarface, de Oliver Stone)

Un film que tout le gangsta-rap vénère comme une Bible du savoir-vivre et du savoir-être. Si vous pensiez m’assimiler à ce genre de lascar, vous faites fausse route.

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Aimer la culture, détester son enseignement

Faute d’avoir trouvé un guide pour me transmettre une compréhension de la hiérarchie des savoirs, la « haute culture » est longtemps restée pour moi un sujet de dénigrement et d’incompréhension. Il semble même que je me sois longtemps construit par opposition à cette prétendue haute culture, dont les seuls promoteurs que je côtoyais étaient mes professeurs – et sachant l’image que j’avais d’eux, ou qu’ils lassaient à apprécier, je ne pouvais que rejeter ce qu’ils souhaitaient que j’honore.

Ainsi, je n’ai appris à apprécier la culture que tardivement, par mes propres moyens et selon un intérêt lentement attisé, en ayant détesté son enseignement.

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Fil conducteur

J’avais déjà, huit ans avant de commencer ce blog, ces idées embryonnaires, ces intuitions en germe ! Après les avoir oubliées sans les avoir niées, impressions inconscientes de ma lecture du monde, voici que je les retrouve et reprends mon fil conducteur là où je l’avais laissé – avec quelques rides naissantes et une expérience d’adulte-travailleur-parent.

Les voici :

  • l’idée anti-communiste, ou anti-catholique, qu’une forme d’égalité effective des hommes ne peut, ou ne doit, jamais être totalement réalisée sous peine de condamner l’humanité à une forme de stérilité – car à l’absence de motivation à être, de quête de sens, s’associerait une dissolution dans un néant anhistorique : un totalitarisme,
  • l’idée que l’humanité peut devenir une communauté continue sans barrières entre des individus frères ayant chacun leur vécu, leur histoire et leur sensibilité – un cosmopolitisme pluriel.

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Rétablir et revaloriser la parole publique

Au grand jeu des promesses non tenues, les hommes politiques ont toujours obtenu les premières places. Pourquoi les blâmer ? Leur profession consistant à gagner le pouvoir, ils se sont emparés d’un des plus efficaces stratagèmes permettant d’arriver à leurs fins. Henri Queuille a déclaré :

Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent.

Ceux qui les écoutent, ou ceux qui y croient : les électeurs. Le clientélisme est toujours une arme puissante, qui permet aux escrocs de toute espèce de prolonger encore pour quelques années leur sursis. Le politicien a bien compris que flatter l’électeur dans le sens du poil valait mieux (pour sa propre carrière) que de lui dire ses quatre vérités.

Pourtant, tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise. Il est ainsi amusant d’observer les politiciens poser cette question rhétorique : « mais qui fait le lit du Front National ? » Ils espèrent une dernière fois pouvoir s’en tirer à bon compte, blanchis de leurs mensonges.

On n’en aurait eu que faire, au fond, de ces mythomanes professionnels, s’ils ne s’étaient salis qu’eux-mêmes. Mais leur cynisme sans bornes a provoqué un séisme plus profond : désormais, c’est la parole publique, ou le débat public, qui est devenu suspect. On n’y croit plus. Ceux qui vivent de la politique ont fini par abattre à la fois ceux qui vivaient pour la politique (par conviction), et la politique elle-même, à travers l’impossibilité du débat public.

Or, renouer avec la possibilité du débat public, c’est renouer avec la capacité de faire à nouveau de la politique. Une politique véritable s’entend, c’est-à-dire exigeante envers ses acteurs (les citoyens : hommes politiques comme électeurs) et apte à provoquer l’émergence d’une pluralité d’opinions et de propositions systémiques concrètes fondées sur un savoir scientifique le plus objectif possible.

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Communication du savoir : de l’expertise à la démocratisation

J’ai déjà abordé la question du positionnement de mon travail vis-à-vis de celui d’un universitaire contemporain (à lire en préambule de cet article). Je réponds ici aux questions relatives à l’utilisation et à la transmission du savoir spécialisé.

Comment combler le fossé entre expertise (le discours privé et abscons entre spécialistes) et efficace vulgarisation ? Comment ne pas sombrer dans un simplisme militant ? Comment s’adresser au plus grand nombre tout en conservant rigueur, discipline et exigence ? Comment, alors que le temps de cerveau disponible devient plus que jamais un enjeu économique, que le zapping de l’expression inepte à l’emporte-pièce devient la norme des échanges, et qu’enfin, le relativisme moral devient pantouflage et repli sur soi, ou croyances béates en des lendemains qui chantent, comment, donc, faire retrouver le temps long d’une pensée riche, nécessairement analytique, approfondie, et, pour tout dire, complexe ? Dans une interview donnée en septembre 2015, Régis Debray pose le problème ainsi :

Le problème, c’est le faire-savoir. Sous une pluie d’images, les mots patinent. Si un bon esprit veut avoir de l’influence sur ses contemporains, et c’est ce projet qui définit l’intellectuel, mieux vaut pour lui se faire voir que se faire lire. Quitter le stylo pour le face-caméra. Il y faut un talent qu’ont rarement les hommes d’étude. La vidéosphère a changé la donne. L’intello, pour survivre, doit devenir une vedette de l’audiovisuel. C’est assez humiliant.

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Charlie Hebdo : comment peut-on être irresponsable ?

Charlie Hebdo se déclare « journal irresponsable ». Mais comment peut-on se dire irresponsable lorsque l’on aborde des sujets éminemment sensibles et politiques ? Je ne cherche pas à répondre ici à la question du bien fondé de telle ou telle caricature, mais uniquement à la question de la responsabilité dans l’expression publique.

Charlie Hebdo responsable ?
Charlie Hebdo responsable ?

Comme si le fait de se déclarer « irresponsable » ouvrait la voie à tout et n’importe quoi. Ainsi, il serait facile de tout accepter : on pourrait tout dire, tout écrire, tout dessiner, etc… en faisant par avance sa déclaration d’irresponsabilité.

Pourquoi pas, après tout ?

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Positionnement par rapport au travail universitaire

Ceux qui parviennent au statut d’enseignant universitaire n’imaginent même pas qu’une évolution politique puisse avoir le moindre effet sur leur carrière ; ils se sentent absolument intouchables.

– Houellebecq, Soumission

Cette phrase est représentative de la qualité de la production de Houellebecq : elle ne dit pas grand chose, ou elle en dit énormément. Le lecteur doit faire le boulot, car Michel est déjà passé à autre chose. En lisant en écrivant, suivons donc une devise de Gracq !

Sûrement ont-ils raison, ces universitaires parvenus, de ne trop rien craindre. A moins que cette évolution politique ne soit d’une ampleur telle qu’elle mette fin à l’Etat de droit républicain, mais même dans ce cas, ce n’est pas la carrière de l’universitaire qui serait remise en cause (on lui demanderait quelques ajustements, on supprimerait des bibliothèques certains ouvrages…). C’est sur un plan privé que les véritables changements auraient lieu : il ne faudrait pas avoir la « mauvaise » couleur de peau ou la « mauvaise » religion… Car même les nazis, grands brûleurs de livres, n’ont pas eu à l’égard du milieu universitaire d’attitude si belliqueuse. Dans leurs « 12 propositions contre l’esprit non-allemand », ils demandèrent « simplement » une nouvelle discipline ; extraits :

6. Nous voulons éradiquer le mensonge, nous voulons marquer la trahison au fer rouge, nous voulons que les étudiants se trouvent non pas dans un état d’ignorance, mais de culture et de conscience politique.

8. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à apprendre et à faire des choix de façon autonome. [une autonomie bornée, donc…]

10. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à triompher de l’intellectualisme juif et de ses chimères libérales sur la scène intellectuelle allemande.

11. Nous exigeons que les étudiants et les professeurs soient sélectionnés en fonction des garanties qu’ils présentent de ne pas mettre en danger l’esprit allemand.

12. Nous exigeons que les facultés soient le sanctuaire de l’identité allemande et le lieu d’où partira l’offensive de l’esprit allemand dans toute sa puissance.

On le constate, l’universitaire, même au sein d’idéologies totalitaires (et peut-être surtout en leur sein) dispose de rôles considérables à jouer. Celui de gardien du sanctuaire d’abord. Évocation du sacré de la nation (« l’esprit allemand »), ou nationalisme, qui est donc bien une religion parmi d’autres. Mais aussi celui du conquérant : car toute idéologie a besoin de prosélytes lettrés capables de défendre et justifier doctement ce qui ne relève, in fine, que de la croyance subjective – et de supplanter d’autres pensées ou croyances (« l’intellectualisme juif et ses chimères libérales », dans le cas nazi).

Mais quel universitaire d’aujourd’hui ne s’exclamerait : « c’est de l’idéologie nazie ! Et mon travail est scientifique : j’observe le réel d’un œil rationnel et désintéressé. La notion même d’idéologie est néfaste, non-scientifique, abandonnée, non-sérieuse : c’est du passé! »

Pourtant il faut bien se la poser, cette question de l’idéologie ! D’une part pour confronter l’objectivisme, et d’autre part pour être capable de reconquérir le sens de l’Histoire.

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