Les camps du bien

En passant simplement au pluriel, en parlant des camps du bien et non plus du camp du bien, on détruit cette aberration anti-politique qui consiste à s’auto-proclamer dans le camp des vertueux, le camp de ceux qui ont toujours raison.

Cela permet aussi de s’affranchir d’un autre fantasme : puisqu’il n’existe pas de « camp du bien », alors

le camp du bien ne gagnera pas.

Cette niaiserie qui consiste à croire que l’Histoire suit un beau chemin balisé, « notre route est droite mais la pente est rude », comme l’a raffariné Raffarin, qui conduit irrémédiablement à un sommet de bonheur, vole en éclats.

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Empowerment citoyen

Dans un sondage récent (Ifop/Atlantico, visible ici), 67% des Français sondés seraient « d’accord » pour confier la direction du pays à « des experts non élus » qui seraient à même de réaliser des « réformes nécessaires mais impopulaires » :

Sondage Ifop/Atlantico - experts
Un gouvernement d’experts non élus ? (Sondage Ifop/Atlantico)

Ils seraient 40% à être « d’accord » pour confier ce même gouvernement à un « pouvoir politique autoritaire, quitte à alléger les mécanismes de contrôle démocratique s’exerçant sur le gouvernement » :

Sondage Ifop/Atlantico - autoritaire
Un gouvernement autoritaire ? (Sondage Ifop/Atlantico)

 

Christophe De Voogd commente, dans le même article, ces résultats :

Peut-être alors y a-t-il dans ce sondage une sorte d’aveu implicite de la population, qui constate les blocages catégoriels et ses propres exigences contradictoires et l’impasse où cela conduit le pays. D’où l’envie plus ou moins forte, plus ou moins consciente, de se délester du fardeau sur les experts ou l’homme providentiel. Une sorte de « démission démocratique » qu’avait déjà diagnostiquée, pour une fois d’accord, aussi bien Rousseau que Tocqueville.

Vincent Tournier ajoute :

C’est un résultat surprenant car, en général, les électeurs n’aiment pas l’idée d’un gouvernement technocratique : c’est d’ailleurs ce qu’ils reprochent à l’Europe, voire aux élites françaises (le pouvoir des énarques, la fameuse « énarchie »). […]

D’autres enquêtes ont déjà montré qu’il y a, dans l’opinion, une demande d’autorité, notamment dans les milieux populaires. Cette enquête confirme donc qu’il existe un profond malaise. Les gens sont désarçonnés par les évolutions auxquelles ils assistent. Ils ont le sentiment d’avoir de moins en moins de prise sur le pouvoir politique. C’est la conséquence de ce que les spécialistes ont appelé la « gouvernance ». Ce terme désigne le fait que les mécanismes de décision suivent aujourd’hui un cheminement  plus complexe que dans le passé. […]

Le problème est que, dans ce nouveau mécano, l’électeur est perdu, ce qui est logique. Qui peut prétendre avoir compris le fonctionnement de l’Union européenne ? Qui s’y retrouve dans la décentralisation en France, avec sa ribambelle de réformes toutes plus complexes les unes que les autres ? Plus grave encore : dans le système politique actuel, qui devient responsable des décisions ? Qui faut-il blâmer lorsqu’on est mécontent de sa situation ?

 

Face à cette « démission démocratique » engendrée notamment par la complexité croissante de la « gouvernance », ce n’est ni le collège d’experts, ni le dictateur éclairé, qui constituent deux penchants de la démission démocratique et citoyenne, qui pourraient nous sortir de l’ornière.

C’est au contraire l’empowerment citoyen qui constituerait, selon moi, une solution : cet empowerment est une somme de moyens par lesquels les citoyens pourraient se réapproprier la connaissance, la compréhension, la responsabilité, le pouvoir et la capacité à gouverner.

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Responsabilité

L’idée […] de la responsabilité individuelle pour tout ce qui se passe autour de nous, est que chacun doit répondre de tout devant tous…

– Tarkovski

Tarkovski n’invente rien, il est le passeur d’une longue tradition philosophique de la responsabilité humaine. Kant avant lui a dit la même chose, et Sartre l’a dit à nouveau, dans L’Etre et le Néant :

L’homme étant condamné à être libre, porte le poids du monde tout entier sur ses épaules ; il est responsable du monde et de lui-même.

C’est un bon préambule contre tous ceux qui voudraient nous soumettre à telle ou telle « loi » naturelle ou divine : il n’y a pas de transcendance que l’homme ne décide lui-même de s’appliquer. C’est, in fine, à l’homme que revient le choix de croire ou pas en un dieu quelconque, ou en lui-même seulement. Pour un existentialiste subjectif (pléonasme) comme moi, la responsabilité est la grande chance qui est offerte à l’homme, face à toutes les excuses, les victimisations et les institutions nourricières, qui, loin de représenter des marques d’altruisme ou d’humanisme, sont au contraire anti-humaines et liberticides.

La responsabilité, et la prise de responsabilité, est aussi un guide qui nous mène vers l’amélioration : si c’est à nous que nous devons le monde d’aujourd’hui, et plus encore celui de demain, alors les erreurs du passé doivent être prises comme des avertissements et des enseignements pour notre devenir.

Mais une telle responsabilité n’est pas gratuite ; elle n’est pas innée. Cette responsabilité s’acquiert, et il faut devenir homme pour l’acquérir – ou plutôt, on ne devient homme qu’en l’ayant acquise. Elle n’est pas naturelle, bien qu’elle soit à la portée de notre espèce. C’est toute la question du cheminement vers la responsabilité qui contribue à faire l’homme libre.

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Gauche et droite : vieilles lunes ?

Il ne faut pas octroyer au Front National l’idée d’une confusion parfaite de la gauche et de la droite, lancée à travers l’habile slogan de papa « anar de droite » Le Pen « UMPS » (« Union pour le Maintien Perpétuel du Système », puis récemment le moins vendeur « RPS » – sans doute une invention de Philippot). En réalité, la paternité en revient à de talentueux publicitaires du début des années 1990 :

La Droiche ! Qu’ils sont pointus, ces marketeux ! (Les Inconnus)

Le bien nommé Jack Beauregard incarnait une certaine « vision » de la politique dotée d’un fort strabisme convergent : « la Droiche ». « Ferme mais pas trop » (on reconnaît « la force tranquille » mitterrandienne ou « l’ordre juste » ségoliniste de 2007) mais aussi « Maghrébins, ne partez pas tout de suite » (qui rappelle un certain « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » de Rocard, ou encore une phrase que n’a jamais prononcée Hollande, mais qu’il a bien mise en pratique : « réfugiés, ne venez pas trop nombreux »). Les publicitaires concluent :

– Oui mais là, l’électorat de gauche, on le perd complètement…

– Bon, on perd plus grand chose… tu vois ce que je veux dire…

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Mai 68 : héritages en floraison

Il faut, dit-on, « liquider l’héritage de mai 68 ». Encore faudrait-il savoir de quoi il retourne : que furent les événements de 68, quelles idées ont-elles été portées, qu’est devenue la « génération 68 », et enfin, au-delà des slogans et des caricatures, quelles leçons tirer de mai 68 ?

cohn-bendit mai-68
Bien avant NTM, Dany-le-Rouge te fait la nique !

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Ma relation à l’Occident

Il est probablement impossible, pour des gens ayant vécu et prospéré dans un système social donné, d’imaginer le point de vue de ceux qui, n’ayant jamais rien eu à attendre de ce système, envisagent sa destruction sans frayeur particulière.

– Houellebecq, Soumission

Mais ce n’est pas mon cas, quoi qu’il m’en coûte de l’admettre, car les choses seraient alors tellement plus simples. Elles ne le sont pas ; elles ne le sont que pour ceux qui se bercent d’illusions et ne voient toujours que la face des choses qu’ils veulent voir. Les irresponsables.

Je ne serai donc pas de ceux qui  veulent jeter le bébé avec l’eau du bain. Car, paradoxalement, ce qui permet d’être occidental, ce qui fait la nature de l’être occidental, c’est le doute viscéral associé à la rationalité du cogito de Descartes, c’est-à-dire le fait de se demander en permanence s’il est occidental, qu’est-ce que l’Occident, et est-ce que l’Occident existe. Quitte, par conséquent, à renier, pour les besoins de cette introspection, sa propre réalité. Quelle autre civilisation s’est construite sur le doute d’elle-même et perpétue sa tradition en mettant au monde, génération après génération, des individus dans le doute ?

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Astonishing playfields – un monde rêvé

Si l’on veut considérer le monde rêvé comme un terrain de jeu subjuguant, ou comme notre jardin merveilleux, un lieu de découvertes surprenant, ce n’est pas en se l’appropriant ou en le niant égoïstement que l’on peut y parvenir. Ce n’est pas non plus un retour à la nature, un primitivisme, ou une soumission à des supposées lois du vivant, autant de façons de redevenir animal à défaut d’avoir su être humain, qui feront de notre planète un lieu hospitalier.

Si la planète peut et doit être un monde ouvert, il doit l’être pour tous, c’est-à-dire à la fois que son potentiel d’aventure (de choix de vie et de modes d’existence) doit être le même pour l’ensemble des humains, mais aussi que ce terrain de jeu doit profiter à tous (la capacité d’édiction des règles doit devenir un subtil équilibre universellement partagé).

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Responsabilité filiale

Aurais-je pu placer le fait d’avoir un enfant, et d’en être chargé d’une soudaine responsabilité filiale, parmi les motivations égoïstes du travail entrepris ? Car on peut se dire que ce que l’on est capable de faire pour son enfant est à la fois l’acte de générosité et de don de soi le plus grand, mais n’est-ce pas aussi la démonstration d’une forme de narcissisme ?

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La quête de sens

J’en étais à ce point précis où se dessine le choix crucial d’une vie. Ayant pris conscience de ma mortalité, je pouvais continuer à vivre comme une bête ou devenir un homme.

Voici comment je conçois la quête de sens.

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Qui suis-je ? Instantanés autobiographiques

Qui je suis ? Pourquoi ai-je fait ces choix ? Qui écrit ? Qui pense ? Dans quels buts ?

Je est un autre.

– Rimbaud

« Je » est la première personne d’un pluriel indivisible : moi. Car « je », tout en étant un singulier, est un pluriel en devenir et en puissance. La vie est un parcours initiatique, une quête de sens, ou encore une existence qu’une volonté déploie et qui déploie sa volonté. On ne peut savoir qu’il l’on est qu’à la fin de sa vie, c’est-à-dire quand il est trop tard : il est impossible à un homme de se résumer, il ne peut qu’être résumé, très imparfaitement car de manière lacunaire, par d’autres.

Tout au plus peut-on tenter des instantanés de soi, de fugitives autobiographies sitôt exprimées, sitôt erronées.

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