Rassurez-vous, je ne vais pas vous entraîner dans les affres du tuning automobile !
Je veux plutôt parler de la forme de mes articles.
Légèreté d’abord !
Je considère que la gravité nuit à la gravité, et trop de sérieux nous abrutit. Comme j’aborde des sujets sérieux, autant les traiter avec légèreté. Victor Hugo disait :
La forme, c’est le fond qui remonte à la surface.
Alors, si dans la forme je suis joyeux et rieur, c’est que le fond de mes pensées doit être heureux. En cela, j’espère respecter cette ambition nietzschéenne : Le Gai Savoir.
Ou comme mes premiers modèles les philosophes des Lumières, employer quelque ironie cinglante – qui est au ricanement stérile ce qu’un éclat de rire féroce est au gloussement obscène. Comme l’écrit Sartre :
Il y a une crise de l’essai. L’élégance et la clarté semblent exiger que nous usions en cette sorte d’ouvrages, d’une langue plus morte que le latin : celle de Voltaire. […] Le roman contemporain… a trouvé son style. Reste à trouver celui de l’essai.
Voltaire, toujours, qui préfère les livres à trente sous, comme son Candide ou l’Optimisme, facilement diffusable (réédité vingt fois, vendu à plus de 20 000 exemplaires, ce qui est colossal à l’époque) et transportable, pour inspirer les foules.
Et comme dans la chanson populaire de mon temps (Renaud, Noir Désir), ne pas être avare de blagues et de calembours.
La forme idéale de mon véhicule ? Ne pas sacrifier la rigueur et la performance pour atteindre ses objectifs, mais attirer et plaire au plus grand nombre :
Une Formule 1 carrossée comme le camion du marchand de glaces ambulant
Car tout le monde, même Ghost Dog, aime les crèmes glacées. Et même si on ne comprend rien à ce que dit le vendeur, il est super sympa :
C’est dans ce même film qu’il y a une maxime extraite de l’Hagakure, que j’adopte dans mon formalisme :
Among the maxims on Lord Naoshige’s wall, there was this one: « Matters of great concern should be treated lightly. » Master Ittei commented, « Matters of small concern should be treated seriously. »
(ma traduction : les sujets de grande importance devraient être traités avec légèreté)
Modernité
Ensuite, mon véhicule n’est pas une vieille guimbarde à remiser en prime à la casse. Il est moderne, et dispose de toutes les options de série. Ce n’est pas par luxe ou vanité, mais par utilité bien comprise : le format du blog correspond à la tentative d’un nouveau format de l’essai, au-delà du langage : la présentation des contenus et des liens entre eux.
Il ne s’agit pas de sortir du livre papier pour numériser bêtement : ce n’est pas un e-book. La dématérialisation n’est qu’un procédé de diffusion, elle ne change rien à l’œuvre elle-même. Je compte, de mon côté, exploiter pleinement l’outil numérique.
Le blog, donc, parce qu’il offre les avantages suivants :
L’avantage primordial, c’est l’utilisation des liens hypertexte (HTML : langage du Web), qui permettent de passer d’une écriture et d’une lecture linéaires à une navigation libre. Il n’est plus nécessaire de suivre, page après page, un développement qui a l’inconvénient de parfois se référer aux pages antérieures, ou d’annoncer des développements ultérieurs qu’il laisse provisoirement de côté, ou de renvoyer à des notes de fin d’ouvrage, ou encore de citer des références provenant d’autres ouvrages et auteurs auxquels on n’a pas accès au moment de la lecture.
Le lien hypertexte permet de rédiger des raisonnements partiels, traitant spécifiquement un sujet, à n’importe quel moment, tout en conservant la cohérence d’ensemble, car chaque terme ou chaque phrase peut être lié(e) à un développement qui le ou la précise. On gagne en flexibilité sans tomber dans le saucissonnage partiel des idées qui n’aboutit à aucune vision d’ensemble. Les liens sont aussi utiles pour citer et référencer ses sources et leur origine (à condition qu’elles se trouvent sur le Web, mais elles peuvent aussi y être téléchargées en fonction des besoins).
Pour le lecteur, les avantages sont identiques : rapidité d’accès à l’information, capacité d’accéder immédiatement à plusieurs concepts qui sous-tendent un développement, ou au contraire à des exemples concrets qui étayent un raisonnement logique, etc. En outre, le blog permet d’entrer en interaction par le biais de commentaires, ce qui rend la lecture plus active et l’échange à tout moment facilité entre lecteur et écrivain. Cette interaction a aussi lieu lors de la lecture elle-même, puisque le lecteur est invité à cliquer sur des liens menant à d’autres articles : c’est lui qui choisit, dans chaque cas, de le faire ou de l’ignorer, en fonction de ce qu’il souhaite lire. La linéarité passive, ou la domination de l’écrivain sur le lecteur, est abolie : c’est un échange, une réciprocité, une célébration de la relation de liberté entre écrivain et lecteur.
Ensuite, le fait de minimiser la taille de chaque article par l’utilisation des liens comme éléments de contexte que le lecteur peut approfondir interactivement, permet de rendre plus accessible une pensée en développement, d’en maîtriser la complexité, et offre la possibilité d’organiser sa lecture par « flashs » de quelques minutes sans perdre le fil conducteur – ce qui paraît important dans la société du zapping.
Enfin, le blog propose une fonctionnalité de moteur de recherche et d’archivage automatique (avec datation) qui permet d’indexer l’ensemble du contenu rédigé et de pouvoir retrouver à partir d’un mot clé ou d’une phrase le passage ou l’article que l’on souhaite relire. Combien de fois avons-nous dû feuilleter un livre à la recherche d’un passage précis dont on pensait qu’il était plutôt au début alors qu’il se situait en réalité dans les dernières pages ?
C’est un nouveau mode de lecture et de rédaction, qui sied parfaitement à la confection et à la lecture d’un essai. Son intérêt dans le cadre d’un roman est par contre nul.
D’un point de vue extérieur et plus scientifique, cette organisation et factorisation du contenu permettent d’évaluer les réseaux de liens sur le contenu créé. C’est une sorte de rétro-conception : comment s’est formé le réseau des idées, l’arborescence des définitions ou leur hiérarchie. Cela permet de jauger la production de la pensée par la manière dont sont construits les liens et les sujets connexes, et ce, à l’insu même de son producteur. En quelque sorte, mettre à nu le cerveau, y compris ses biais et dérives, par exemple : un trop fort poids mis sur tel sujet au détriment de tel autre qui pourrait le contredire ou l’atténuer.
L’ouvrage de la pensée n’est plus enfermé dans un format linéaire contraint, mais peut au contraire s’exprimer tel que notre cerveau le produit : par tâtonnement, par réflexions parcellaires finissant par constituer une trame de fond globale et cohérente.
Car la pensée est d’abord un champ vide, puis un arbre, un bosquet, une forêt, etc. où tout est lié à quelque chose d’autre, comme un réseau neuronal.
Elle se déploie progressivement, au fur et à mesure des influences, des lectures, de l’apprentissage, de la réflexion consciente et de la maturation inconsciente – à condition que son hôte la cultive avec soin.
Mais le blog n’est qu’un outil, il ne dit rien des objectifs de son usage. C’est pourquoi je récuse la dénomination de « blogueur ». Car on ne définit pas l’acteur par l’outil qu’il utilise, mais par l’œuvre qu’il produit. Un marteau est indifféremment utilisé par le maçon, le charpentier, le plombier, le mécanicien, etc. et ne caractérise donc pas la finalité de son utilisation. Et je crois que l’utilisation que je fais du blog est si particulière par rapport à l’usage courant pour lequel il a été conçu, que l’on pourrait parler de détournement.
Travaux en cours
Comment limiter sa pensée philosophique dans le temps ? Pourquoi circonscrire un travail à un ensemble discontinu d’ouvrages ? Il faut publier, pour l’universitaire ou celui qui doit gagner sa vie en écrivant. Le livre n’est par conséquent qu’un artefact issu de l’obligation de produire un objet, considéré comme seule réalité au monde. Mais le monde des idées n’a pas ces prescriptions.
Le livre impose de cloisonner ce qui n’a pas raison de l’être. Un auteur d’essais, un philosophe, suit sa pensée tout au long de sa vie : il cherche la cohérence, la vision d’ensemble. Chaque ouvrage qu’il publie n’est par conséquent jamais définitif, mais au mieux, l’état des lieux courant de ses travaux. S’il contient une introduction et une conclusion, c’est uniquement par nécessité éditoriale. Certes, certains concepts, certains passages seront définitifs dans la pensée de son auteur : il s’y réfèrera alors dans ses ouvrages ultérieurs – et cela démontre bien la continuité de sa pensée.
A l’opposé, certaines idées lui apparaîtront plus tard comme des erreurs : mais fera-t-il l’effort de corriger le livre qui les contient ? Bien sûr que non. Au mieux, une préface sera ajoutée à la publication afin d’indiquer les limites de la pensée ici développée. Cela n’a aucun intérêt. Les ouvrages deviennent des consommables périssables qui ne représentent plus la pensée de leur auteur, alors que la pensée devrait correspondre à une œuvre toujours retravaillée, comme la seule et unique œuvre à faire pour un auteur donné – je ne parle pas des romanciers, mais des philosophes.
Marx, par exemple, a travaillé vingt ans sur son œuvre maîtresse Le Capital. Il n’en a achevé et publié que le livre 1 de son vivant. D’autres parties on été publiées à partir de ses brouillons, à titre posthume, donc sans contrôle véritable de leur auteur. La vision d’ensemble de son œuvre nous est donnée parce que, fort heureusement, Marx a participé aux luttes de son temps et a rédigé des textes plus courts servant à répandre ses idées. Mais c’est une contrainte à laquelle les auteurs étaient forcés de faire face.
Car bénéficier des technologies pour pouvoir publier, être lu et discuter tout en enrichissant et poursuivant son travail, voilà qui était inaccessible jusqu’à la démocratisation de l’Internet, soit il y a environ vingt ans.
On peut être étonné de voir que cet outil moderne est sous-utilisé et qu’il est toujours soumis aux diktats d’organisations, universitaire et éditoriale notamment, qui lui sont globalement indifférentes, sinon hostiles. Or, le fait de pouvoir aujourd’hui travailler « sur le vif », en prise avec son temps, est un grand avantage : c’est un dialogue de l’œuvre en cours de création avec son lectorat, et plus généralement avec la société, en quasi-temps réel.
Mais ce genre d’évolution, bien que je la croie inéluctable, s’inscrit toujours dans le temps long du passage de relais générationnel : il faudra que les « Y » (digital natives) prennent le pouvoir, c’est-à-dire enterrent les baby-boomers et mettent à la retraite la génération X.