Responsabilité filiale

Aurais-je pu placer le fait d’avoir un enfant, et d’en être chargé d’une soudaine responsabilité filiale, parmi les motivations égoïstes du travail entrepris ? Car on peut se dire que ce que l’on est capable de faire pour son enfant est à la fois l’acte de générosité et de don de soi le plus grand, mais n’est-ce pas aussi la démonstration d’une forme de narcissisme ?

Cela revient à poser la question de savoir pourquoi l’on a fait un enfant. Par conséquent, voici quelques vagues pistes menant aux raisons profondes qui m’ont poussé à avoir un enfant (et je me bornerai à être vague, car ceux qui écrivent à ce sujet en font des romans impudiques ou de la psychanalyse), et qui dessinent en creux l’individu que je suis, mon rapport au monde et mes espoirs :

  • Générosité et confiance au monde : donner de soi, transmettre le bien, engendrer le futur. Je ne suis pas pessimiste, ni optimiste, envers l’avenir. Mais je crois qu’il faut des hommes conscients du monde et de bonne volonté pour aller vers un mieux, ou en tout cas éviter le pire. C’est dans cette conviction et cette générosité que j’inscris l’acte d’avoir un enfant : en faire un individu libre, apte à arpenter le monde avec une lucidité sévère mais sans haine, ayant pour guides la curiosité, l’émerveillement, la bienveillance et la quête de sens.
  • Estime de soi : fondée sur le point précédent, la conviction que l’on s’occupera bien de son enfant, que l’on saura l’élever dans des conditions qui lui seront bénéfiques, et qui seront bénéfiques au monde, et que l’on mettra tout en œuvre pour assurer ce développement heureux. La réussite d’une si hasardeuse entreprise de transmission respectueuse (il ne s’agit pas d’inculquer, mais d’éduquer) a pour nom fierté – de soi et de son enfant.
  • Fascination pour l’observation et l’accompagnement d’un être humain en devenir, de cet enfant qui n’est, comme dans ce rêve familier (au sens étymologique aussi) de Verlaine, ni tout à fait soi ni tout à fait un autre. Un miroir qui renvoie l’image de sa totale responsabilité envers cette vie nouvelle, mais aussi envers le monde qui l’accueille. Car il me semble qu’il ne dépend que des parents de faire de leurs enfants des êtres équilibrés, aimés et capables d’amour à leur tour.
  • Bonheur d’aimer – puis de se sentir être aimé. L’amour s’accumule en un cercle vertueux : plus il y a d’amour, plus il y aura d’amour. On se surprend à le constater, quand on a vécu longtemps un amour exclusif : il n’y a pas division de cet amour, mais augmentation permanente envers les êtres aimés. C’est un noyau en fusion d’où rejaillit tout ce qui doit être bon.
  • Fusion du couple en une réalité tangible, proclamation au plus haut degré de cet amour ; l’acte de confiance le plus grand qui puisse se réaliser.
  • Se donner du sens, ou plutôt : alimenter brutalement le besoin de sens. Car la responsabilité nouvelle en ce qu’il faut assurer et transmettre (protection et l’éducation de l’enfant) exige plus ardemment ses réponses. Même le plus ENUC des ENUCS, ou le plus porcin des porcins, devrait être saisi de cela – mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas.

 

Quelques mobiles en négatif peut-être, qui sont des motivations par contraste, et n’ont en tout cas qu’un rôle très subsidiaire :

  • Une certaine déception envers mes congénères – donc l’espoir d’un mieux (on n’est jamais mieux servi que par soi-même !).
  • Une forme de rétablissement et de réparation de certaines formes de relation avec mes propres parents qui ont été soit exacerbées, soit au contraire trop timides. Donc, une volonté de mieux faire, d’offrir le meilleur possible, en essayant aussi de conserver tout ce qui a été vertueux et bienheureux (l’amour inconditionnel, notamment).

 

Enfin, deux conséquences :

  • L’urgence de changer de mode de vie afin d’accueillir l’enfant dans un meilleur cadre et d’avoir la possibilité de lui consacrer un maximum d’attention.
  • L’exigence de trouver une cohérence entre ses choix de vie et ses valeurs à transmettre, de les assumer et de pouvoir les porter avec fierté pour guider l’enfant : lui offrir un exemple vertueux plutôt que cynique ou compromis.

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