Les nationalistes accusent « l’Europe ultra-libérale des anglo-saxons » et « la gouvernance mondiale hors-sol » de miner les identités nationales et de désarmer les Etats en livrant des individus interchangeables à la voracité du marché.
De manière générale, ils prônent le « choix » de se couper du monde pour ne pas perdre la bataille de la compétitivité :
Il y aurait pourtant un bon usage de l’Europe. Elle pourrait décider, si ses nations les plus importantes le voulaient, de devenir un espace de régulation économique se protégeant des importations et des délocalisations vers les pays à bas salaires. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, après la démocratie, ce serait toujours la démocratie.
« Espace de régulation économique » : que voilà une belle expression afin d’éviter le terme protectionnisme ! Mais protectionnisme envers quoi, au juste ?
Il nous faut gagner la bataille de la compétitivité. Compétitivité de l’Europe par rapport à
l’Asie. Compétitivité de la France par rapport aux nouveaux entrants dans l’Union européenne. Faute de quoi, les « entrepreneurs », les « capitaines d’industrie » (on ne dit plus les patrons), n’auront d’autre choix, les pauvres, ils le regrettent pour nous, que de délocaliser. C’est pourquoi il faut que les salariés consentent à travailler plus et à gagner moins [tiens, récupération sarkozyste par la gauche de la gauche ?]. […] C’est pourquoi il faut démanteler le droit social […]. Et jusqu’à quand cet implacable raisonnement va-t-il s’appliquer ? C’est bien simple : tant qu’il y aura, en Chine ou dans un pays du Sud, des travailleurs plus pauvres que nous qui accepteront de faire le même travail pour moins cher… Comme il y en a
des milliards, on le voit, il y a de la marge… Ce n’est que lorsque la France sera devenue un océan de misères, qu’elle sera guérie de son insuffisance de compétitivité.
C’est donc admettre que le monde (hors de France, celui des pays en développement, Européens, Asiatiques et Africains) est un « océan de misère », et que nous, pour ne pas avoir à subir ce funeste sort, nous devrions nous protéger, fermer les frontières, etc. pour laisser les autres crever dans cette misère, pendant que l’on resterait bien au chaud dans notre confort de privilégiés !
Bref, ils font florès dans la critique à deux sous de la mondialisation et de l’économie libre de marché, pour un recroquevillement national peureux et honteux de pantouflards.
Trois remarques:
1. Ces « individus interchangeables » (bien qu’un occidental le soit toujours moins qu’un étranger) ont fait des choix, car ils sont des électeurs, citoyens vivant au sein de démocraties (auto-proclamées comme telles et peu contredites par leurs populations) : c’est nier ces choix que de dire qu’ils sont les victimes d’un système. La mondialisation telle qu’elle existe aujourd’hui a été produite par et pour l’Occident, à partir de son expansion au XIXe siècle. Soyons donc, pour une fois, responsables de nos actes – ou soyons ridicules !
2. Les Etats-nations se sont faits les promoteurs et protecteurs des grands groupes industriels multinationaux. Il faudrait soutenir ces « champions nationaux » pour l’exportation vers de nouveaux débouchés (car les marchés occidentaux sont déjà saturés), afin qu’ils produisent de la croissance et des emplois et contribuent aux impôts de leurs nations d’origine uniquement, et sans aucune contrepartie ? Or, il faut bien que d’autres pays se développent économiquement afin qu’ils deviennent à leur tour des « débouchés » !
3. A propos de la « gouvernance mondiale hors-sol » : n’est-ce pas plutôt un pays (ou une civilisation) impérialiste et protectionniste qui s’octroie des droits sur une majorité de la population mondiale (qui doit en subir les conséquences) qui est « hors-sol » ? Et que dire de ses citoyens qui accueillent favorablement, durablement et démocratiquement cette stratégie unilatérale ? Une minorité qui prend l’ascendant par la violence, la déstabilisation et le chantage (contraintes économiques, pressions diplomatiques, financements occultes et interventions militaires) sur une majorité ne pourrait-elle pas être jugée « hors-sol » ou « hors-le-monde » ?
L’Occident a vaincu le monde non parce que ses idées, ses valeurs, sa religion étaient supérieures (rares ont été les membres d’autres civilisations à se convertir), mais plutôt par sa supériorité à utiliser la violence organisée. Les Occidentaux l’oublient souvent, mais les non-Occidentaux, jamais.
– Samuel Huntington, Le Choc des Civilisations
Le nationaliste, souvent pro-colonisation (tant que les colonisés sont dociles, taillables et corvéables à merci), après avoir bénéficié et profité de tout, refuse désormais que le profit soit partagé, qu’il lui échappe en partie ! Après avoir couru le monde à la recherche de ses ressources (matérielles et humaines), le voilà qui s’empresse de fermer les frontières dès lors qu’il sent le vent tourner. C’est un enfant égoïste et capricieux, guidé par des seuls desseins de court-terme.
Quels partis sont nationalistes en France ? En réalité : tous ceux qui ont pignon sur rue !
- Il y a les évidents de principe : Front National, extrême-droite par définition.
- Il y a les surprenants traîtres : l’extrême-gauche, de Mélenchon au PC, en passant par Lutte Ouvrière ou le NPA. Partis à qui l’on rappellera quelques leçons d’ouverture internationaliste et non-protectionniste du projet communiste fondateur…
Citons quand même Marx à leurs bons souvenirs (Le Manifeste du Parti Communiste) :
Déjà le développement de la bourgeoisie elle-même, le libre-échange, l’universalisation du marché, l’uniformisation de la production industrielle et des conditions d’existence qu’elle entraîne, effacent par degrés les démarcations et les antagonismes entre nations.
La suprématie du prolétariat les effacera plus complètement, et une action combinée du prolétariat, de tous les pays civilisés tout au moins, est une des premières conditions de son émancipation.
À mesure qu’on abolira l’exploitation de l’homme par l’homme, l’exploitation des nations par les nations aussi s’abolira. L’hostilité des nations entre elles disparaîtra avec l’antagonisme des classes dans la nation.
- Il y a le bal des faux-culs : UMPS – Les Républicano-socialistes : qui, en défendant les « intérêts de la France », font de l’électoralisme national une politique globale. Ils sont les premiers à faire de beaux discours d’ouverture, et les premiers à déguerpir quand il s’agit de passer à l’acte.
De cette dernière catégorie, Hollande est le représentant génialement symptomatique :
ni pour, ni contre : bien au contraire !
Ce sont ces mêmes faux-culs qui utilisent, lorsqu’ils sont acculés, le parapluie de la contrainte européenne, ou américaine, ou chinoise, etc. Car il y a toujours un bouc émissaire qui habite loin de chez nous et qui ne se plaindra pas des coups qu’il reçoit en douce !
Quant aux véritables victimes de notre enfermement cynique, on les regarde, effarés, on contemple avec vice et voyeurisme leur supplice (ici pour les mots et images chocs), et puis on chiale un coup « oh, les pauvres! » – oui, les pauvres pauvres, en effet !
Et pauvre moralité universaliste et humaniste trahie que la nôtre !