Ce dont ils rêvent (et feraient mieux d’y réfléchir un peu plus !)

Je suis tombé sur un article véritablement atterrant, où l’on nous parle de « rêves » de politiciens.

Franchement, je ne croyais jamais dire ça, mais je préfère encore savoir ce qu’ils pensent quand ils sont en train de se raser que ce que leur inconscient nourrit. Sarkozy ne nous avait pas surpris quand, en 2003, il répond à Duhamel :

Au moins, lui est cohérent du matin ou coucher, et en dormant : la présidentielle, c’est en se rasant, en déjeunant, en enfilant son pyjama et en rêvant !

Ca peut sembler ridicule (et ça l’est, assurément), mais au moins on sait à quoi s’en tenir.

Rien n’est plus rassurant qu’un politicien qui rêve de devenir Président de la République.

D’autres, comme Montebourg, y pensent en se brossant les dents, ce qui n’a rien de choquant non plus. Je me demande d’ailleurs à quoi il pense, maintenant, en se brossant les dents… s’il y pense encore… Ou si, comme Fabius, qui a cessé d’y penser pour mieux prendre soin de sa pilosité, il fait désormais surtout attention à ses gencives.

Plus inquiétante est la confession de Macron :

Je ne pense pas à Bruxelles en me rasant.

Inquiétante d’abord parce que je ne savais pas qu’avant sa puberté, un jeune garçon avait des poils au menton… mais je me dis qu’il doit au moins se raser les rouflaquettes.

Inquiétante ensuite parce que s’il déclare ne pas penser à Bruxelles, alors que strictement personne ne pense à Bruxelles, ni en se rasant, ni jamais, c’est qu’il a un lourd secret à cacher : à quoi pense-t-il donc, Macron, en se rasant ?

Pour me rassurer, je me dis qu’il pense à être Président, comme tous les autres. Mais il ne peut pas le dire. Ça fâcherait très fort Hollande et Valls.

Valls et Macron
« Allez, avoue-le ! Toi aussi, tu y penses, coquin ! »

 

Mais voilà donc qu’à cause de cet article, que je tombe sur deux zozos, Taubira et Valls, qui ne se contentent pas de ce qu’ils pensent, et qui nous prennent par surprise en nous assénant ce dont ils rêvent. Ce qui les réveille la nuit ?

La loi Macron prévoit notamment d’autoriser jusqu’à douze ouvertures dominicales des commerces par an sur décision du maire. Des compensations sont prévues, qui seront arrêtées par accord de branche, d’entreprise ou territorial. L’extension du travail dominical est l’un des points de contentieux au sein de la majorité de gauche.

L’extension du travail quelques dimanches par an ! Ça m’a l’air en effet d’être un enjeu civilisationnel de tout premier plan ! On pourrait même dire que le monde se divise en deux catégories :

Ceux qui travaillent douze dimanches par an, et les autres.

Le Bon la Brute et le Truand
« Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. » (Sergio Leone – Le Bon, La Brute et Le Truand)

Bon d’accord, ce n’est pas de la sociologie de haut niveau ! Deux catégories pour diviser le monde, ça manque de validations statistiques. Je ne suis même pas sûr que les cowboys savaient calculer un coefficient de corrélation. Heureusement, maintenant qu’on le sait, les dires des sociologues sont scientifiquement prouvés ! Mais il faut dire qu’avoir un flingue chargé, c’est comme suivre le marché : il n’y aura pas grand monde pour vous contredire !

Pour en revenir à nos moutons du dimanche : l’idéal selon Taubira,

C’est que les gens puissent travailler 32 heures dans une semaine pour avoir du temps pour se consacrer aux autres dans les associations, pour avoir le temps d’aller au musée, sur la plage, de déambuler, de marcher de parler à ses voisins d’aller en librairie, au cinéma, au théâtre etc.. Voilà la société dont on peut rêver.

« La société dont on peut REVER » !!! C’est ça le rêve ! Mince, j’aurais préféré ne jamais lire ça! Quand les politiciens évoquent de leurs idéaux, j’ai envie de pleurer ! Et de leur dire : cessez immédiatement la politique, vous êtes honteux !

Allez, je reprends ma respiration. Un bon bol d’air.

Concernant le contenu de cet « idéal » (je tremble à le nommer ainsi !), je dirai calmement ceci à Taubira :

Pendant que vous allez au musée, que vous déambulez ou bronzez à la plage, que vous tapez la causette ou allez lire des bouquins sans les acheter dans une librairie, que vous vous goinfrez de pop-corn au ciné et que vous expectorez tout votre saoul au théâtre (vous n’avez jamais remarqué comme les gens toussent au théâtre ? C’est certainement parce qu’on y trouve une surreprésentation de vieillards… un sociologue pourrait confirmer…)…

Donc, pendant que vous glandez un maximum, qui garde le musée et les guichets de cinéma ? Qui ouvre sa librairie ? Qui vous sert à boire quand vous faites une pause durant vos déambulations ? Qui s’assure que le réseau électrique fonctionne ? Qui conduit le métro qui vous ramène à la maison ? Qui joue sur la scène du théâtre ? Certainement pas des gens qui travaillent le dimanche, puisque ce n’est pas votre idéal ! Mais alors qui, dites-moi, qui ?

Et si tout le monde travaille 32 heures par semaine en même temps, puisque c’est votre « idéal », comment fait-on durant les 136 heures restantes (cherchez pas, j’ai bien calculé) ?

Je ne sais pas si Taubira a vu le film Un Rêve Tchèque, un documentaire dans lequel deux protagonistes font la promotion d’une nouvelle grande surface dont le prix des marchandises défie toute concurrence. Lorsque les gens se précipitent le jour de l’inauguration, ils découvrent la supercherie :

Un Rêve Tchèque
Devanture de magasin sans magasin. Personne pour y travailler le dimanche (ni les autres jours, d’ailleurs…) : l’idéal selon Taubira

Ce qui est toujours dommageable avec ce genre de critique caricaturale de la société de consommation, c’est qu’aucune alternative n’est proposée, et que parfois, par effet contre-productif, ceux qui dénigrent le consumérisme de cette façon grossière et maladroite en deviennent les principaux vecteurs.

 

En réponse, afin de défendre la réforme qu’il porte, Manu « Militari » Valls y va bien entendu de son inénarrable génie politique :

Les Français aujourd’hui, ce qu’ils veulent, c’est du boulot.

Moi, j’en ai une meilleure :

Les Français aujourd’hui, ce qu’ils veulent, c’est du pognon !

Car, si on parle de travailler pour le plaisir de travailler, et non pour gagner son pain, il serait facile de faire en sorte que tout le monde travaille sept jours sur sept, dix heures par jour, à faire ce qui lui convient comme il lui convient. Néanmoins, je ne suis pas certain que cela siérait à de nombreux Français, qui, eux, veulent de la caillasse, du pèze, de l’oseille et du flouze !

Militari poursuit :

Et le travail, c’est une valeur. Soyons pragmatiques, sortons des dogmes et engageons-nous pour la croissance et le travail pour notre pays.

Toujours ce même raisonnement sommaire et martial qui commence par mettre en avant le fait qu’il est « pragmatique », c’est-à-dire fondé sur le « vrai », ce qui existe, ce qui est tangible, « le dur », par opposition au « dogme » (ce qui relèverait de l’idée farfelue, de la lubie). Il est dans la salle de marché, Valls, pas en train de lire Le Capital au XXIe siècle de Piketty !

Toutefois, je ne comprends pas comment on peut sortir des contradictions pareilles sans être repris par personne :

  • Parler de « valeur » sans l’associer à un « dogme » n’a aucun sens.
  • « Engageons-nous » : si l’on s’engage, n’est-ce pas pour une adhésion à des valeurs et des croyances, donc à un dogme ?
  • Dire « sortons des dogmes » pour se faire immédiatement l’apôtre du plus grand des dogmes contemporains : « la croissance [infinie] et le travail » ?

Je crois que notre militaire contrarié n’a pas ouvert un dictionnaire depuis longtemps…
Mais je soupçonne Valls de baigner lascivement dans sa marinade… il ne s’en rend même pas compte.

 

Que l’on aille chez Taubira ou Valls, j’en tremble d’effroi !

Côté Taubira, le mythe socialiste de la société des loisirs et du divertissement, ce monde relativiste où tout vaut la même chose, où tout est égal moyen de distraction : aucune différence entre aller au cinéma (pour s’émerveiller ?), contempler des œuvres d’art au musée (pour être inspiré ?), et déambuler ou discuter avec son voisin. Tout ne sert qu’à passer le temps, rien n’est produit car tout est fait par « loisir ». Comme si l’homme se perdait et fondait dans le néant répétitif de l’existence.

Aucune quête de sens, alors que l’on sait que l’oisiveté est mère de tous les vices. Le travail, quel qu’il soit, est vilipendé. Car comme il est le fruit de la société de consommation et du productivisme honnis, le travail est par définition un avilissement. Le progrès, quel progrès ? Il semble que nous sommes arrivés à la Fin de l’Histoire. Il n’y a plus rien à créer, inventer ou découvrir. Simplement la vie mollassonne, joyeusement stérile, des jours infinis de loisir. Deux phrases de Catherine Malabou, extraites de son ouvrage L’Avenir de Hegel, soulignent ce propos :

Il n’y a plus rien à « faire ». Le côté le plus aride de l’avenir tient au chômage – économique et métaphysique – qu’il promet.

Cet avenir est beau et terrible. Beau, parce que tout peut encore arriver. Terrible parce que tout est déjà arrivé. […]

 

Qu’on ne s’y trompe pas : cette société des loisirs est un leurre pour nantis. C’est une insulte à tous ceux pour qui la vie demeure un combat. C’est une fuite, ou un isolement dans l’entre-soi confortable dont nous (Occidentaux bien-portants) avons hérité. C’est la croyance que le monde s’est arrêté de tourner, et qu’il est l’heure de profiter sans mesure, à l’intérieur de nos frontières bien gardées, du parc d’attractions que nous avons construit. Je rappellerai simplement l’adage de Thucydide :

Être libre ou se reposer, il faut choisir.

Car d’une part nous avons une responsabilité envers le monde, en tant que citoyens, mais en outre, nous sommes responsables de notre propre liberté, et du maintien de celle-ci face à toute forme d’oppression. Un parc d’attractions n’est pas un fort imprenable, ni une merveille du monde : c’est une distraction temporaire, rien de plus. L’ériger en acmé de la civilisation, voilà une idée mortifère déguisée en conte de fées par Disney.

Car j’ose à peine imaginer l’état de délabrement moral des individus d’une telle société. Les antidépresseurs à foison. La décrépitude menaçante ; un sentiment de fin de civilisation. Le nihilisme partout. L’individu qui se vautre dans les plaisirs sans lendemain, avant la chute inéluctable. Une sorte de Rome décadente et désespérée. La recherche des extrêmes et des horreurs pour essayer de se sentir encore vivant…

I hurt myself today, to see if I still feel
I focus on the pain, the only thing that’s real

– Nine Inch Nails, Hurt (interprétation de Johnny Cash ci-dessous)

(ma traduction : je me suis blessé aujourd’hui, pour vérifier si je pouvais encore ressentir quelque chose. Je me suis concentré sur la douleur, la seule chose réelle.)

 

De l’autre côté, chez Valls, on a la tête dans le guidon, droit devant et allez ! Pour mieux s’écraser de plein fouet contre le mur.

Head On
Head On / Gegen die Wand : droit dans le mur ! Le mariage de Valls et de Mère Croissance

Pas la peine de raconter cette Histoire non plus : c’est celle qui recommence continuellement, et que nous avons étudiée en long, en large et en travers. C’est la raison du plus fort, la loi de la jungle, le « struggle for life » comme loi et dieu à révérer. Le choc permanent des civilisations, la lutte de tous contre tous. Aucune vision, aucun dessein. Une force de conservatisme total : ce qui s’est produit se reproduira. L’œil rivé sur le compteur du PIB et de sa croissance : le Chiffre dit le Bien ou le Mal, justifiant tous les moyens (la soumission des peuples, la guerre, l’extermination, etc.). C’est la politique par l’économie, ou inversement: l’économie par la politique.

Une croyance oligarchique : ceux qui savent et mènent le monde, face à ceux qui suivront, de gré ou de force, car « c’est pour leur bien, même s’il n’en sont pas conscients ». L’offre qui est proposée ? Le travail routinier pour finir son mois, endormir la pensée, entériner le statu quo et permettre à la science de croître : car la science est tout progrès, pensent-ils. Le matérialisme et l’utilitarisme gagnants : furie de l’accumulation et du calcul. La chose comme mythe auquel se résume la condition humaine.

Vision myope, sans avenir, court-termiste, bougiste, profondément nihiliste elle aussi :

Une fuite insensée vers demain ; hier est un vague souvenir, aujourd’hui est déjà passé, après-demain n’existe pas (car n’entre pas dans l’équation).

 

Deux impasses, semble-t-il, finalement pas si éloignées par leur manque d’envergure et le pessimisme fade et désespéré qui s’en dégage.

Un constat que partage et résume à sa façon Gérard Depardieu dans une interview à Vanity Fair, par Sylvain Tesson :

Il faut tout réparer, réparer de ne pas s’aimer, réparer les autres. Réparer, c’est accompagner, soulager la fatigue, enlever les frais, enlever la crainte.

Ce n’est pas parce que tu laisses un enfant te hurler toutes les choses que tu n’as pas faites, ce n’est pas pour cela que tu comprends comment réparer. Tu reçois les hurlements en pleine gueule. Et tu ne sais toujours pas ce qu’est l’idée de réparer. Et alors tu vis la douleur d’un père.

Puis de conclure :

La France et son pouvoir si vide ne m’intéressent pas. La France ne sait pas ce qu’est la réparation.

 

Une solution ? Ou des solutions ?

Comme j’ai l’impression que ni ces politiciens, ni cette jeunesse, ni les experts de la science et du savoir ne se penchent sur ces questions, j’en suis pour ma pomme

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