La fin justifie les moyens.
Voici une phrase honteuse qu’il est grand temps de mettre au rebut !
Car elle ouvre la voie aux pires atrocités, au nom de toutes les folies idéologiques que l’on met dans la bouche d’un dieu (fanatisme religieux) ou d’un peuple (populisme, nationalisme).
Soyons donc clairs :
La fin ne justifie jamais les moyens !
Car, même en imaginant une fin vertueuse, le chemin qui y mènerait serait tellement tortueux (parsemé de renoncements, de compromissions et de sacrifices) qu’il ne mènerait jamais en réalité à la destination prévue initialement. Sartre, dans Qu’est-ce que la littérature ?, résume cette vision ainsi :
La fin est l’unité synthétique des moyens employés. Il y a donc des moyens qui risquent de détruire la fin qu’ils se proposent de réaliser, en brisant par leur simple présence l’unité synthétique où ils veulent entrer.
Sartre prend pour exemple un parti révolutionnaire qui utiliserait le mensonge envers ses militants « pour les protéger contre les incertitudes, les crises de conscience, la propagande adverse ». Même si l’objectif final d’un tel parti était la fin de l’oppression, Sartre nous dit qu’il aboutirait, à cause de l’utilisation du mensonge comme moyen, à « créer une humanité mentie et menteuse ».
En suivant le même procédé, on pourrait décrire à quelle humanité aboutirait l’utilisation de la peur comme moyen : à une humanité soumise et terrorisante (se terrorisant elle-même) à la fois. Si le moyen est le simplisme de la propagande, alors l’humanité sera enfermée dans son ignorance, ses pensées à courte vue, confuses et épidermiques. Si le moyen est la violence, alors on créera une humanité guerrière et muette – l’action politique étant remplacée par l’acte violent. Ainsi, l’expression « si vis pacem, para bellum » (« qui veut la paix, prépare la guerre ») est-elle la démonstration de la real-politik la plus éhontée. Si l’on souhaite réconcilier l’usage des moyens et de la fin, il aurait fallu dire : « qui veut la guerre, prépare la guerre », et « qui veut la paix, prépare la paix » : cela paraît évident, mais pourtant, on continue à penser que la paix s’obtient par toujours plus de guerre. Sartre écrit :
L’écrivain d’aujourd’hui ne peut en aucun cas approuver une guerre, parce que la structure sociale de la guerre est la dictature, parce que les résultats en sont toujours chanceux et qu’elle coûte, de toute façon, infiniment plus qu’elle ne rapporte, enfin parce qu’on y aliène la littérature en la faisant servir au bourrage de crâne.
C’est le chemin honteux et amoral du cynisme qui se pare de vertus perpétuellement remises à demain. Il conduit directement au gouffre de l’atrocité et du totalitarisme. C’est toujours celui qui a été suivi par le despote, et c’est le même qui le conduit à sacrifier jusqu’au dernier homme, même quand tout est perdu, pour survivre quelques secondes de plus.
S’assurer qu’un homme qui prétend mener des projets aux aboutissements vertueux soit lui-même vertueux dans la conduite de ses affaires, c’est une exigence à laquelle on ne devrait jamais déroger. Si l’on est incapable d’être conforme en actes et en paroles, mieux vaut ne rien dire et ne rien faire.
Il faut donc être un radical, par vertu, et un utopiste, par développement intellectuel. Dans le cas qui me concerne, puisque ma fin est la liberté, alors les moyens à employer sont usages répétés de libertés, revendications de libertés et acquisition de libertés : libertés créatrices et libertés défensives (responsabilité).