D’accord, vous avez quelque chose à dire, vous êtes un héros-citoyen qui fait son travail d’écriture. Mais pour qui faut-il écrire ? A qui allez-vous vous adresser ?
Pour soi d’abord, charité bien ordonnée commence par soi-même ; écrire permet, en premier lieu, de réifier ses idées, de les confronter à leurs mots et de lutter contre soi afin de faire émerger une chose, une production, qui n’est plus (en) soi et gagne son indépendance. La surprise de l’écrivain envers son texte est la preuve qu’il a su extraire davantage de lui-même que ce qu’il pensait connaître. C’est un dépassement de soi. Julien Gracq écrit, dans En lisant en écrivant, que les écrivains sont :
Des hérétiques enfermés chacun dans leur hérésie singulière, et qui ne veulent pas de la communion des saints [car] leur jardin d’Eden reste à jamais celui des sentiers qui bifurquent.
On doit tirer une certaine satisfaction, en croyant avoir emprunté une ligne droite (celle de son intuition), à se voir contraint d’arpenter des chemins de traverse (des idées et des faits qui nous contredisent et nous dérangent). Ce n’est pas perdre son temps en variations stériles et infinies, mais au contraire laisser l’écriture révéler nos contradictions, nos écarts, nos faiblesses – avant d’exiger de nous-mêmes que nous y remédions.
Comme l’écrivain se surprend sous sa plume (ou son clavier), comment pourrait-il raisonnablement savoir pour qui il écrit ?
La propagande calculée
Seul un acte de propagande maîtrise à la fois son sujet et sa forme, adaptés à un public ciblé. Son utilité est la conviction, et non la recherche de vérités. Pour le marketing ou la politique électoraliste, de tels écrits, qui sont voués à être propagés en discours audiovisuels, n’ont rien d’introspectif. Ils émanent au contraire d’un calcul quasi-scientifique et de techniques formelles bien étudiées. Chaque mot est pesé, le rythme des phrases est maîtrisé, une froide mécanique rhétorique en émane : elle sera couverte par l’emportement de l’orateur qui, en bon professionnel de la communication qu’il est, fera vibrer l’auditoire. C’est une mise en scène qui vise à flatter les uns en dénigrant les autres. Le prêcheur s’adresse à ses croyants et vitupère contre le « diable » (l’incroyant, l’autre).
Je l’ai déjà formulé (ici ou là) : la place que l’on accorde à ces procédés est largement disproportionnée par rapport aux idées de fond qu’ils sont censés porter. C’est la vacuité que l’on masque. En outre, même s’il existe une pensée riche, le passage au temps du zapping (qui caractérise l’expression médiatique contemporaine) ne peut que pervertir, par simplification extrême, les idées. Même si la tentation est grande de recourir à des formes de communication plus faciles d’accès, il ne faut jamais oublier qu’au final, il ne sert à rien de diffuser à grande échelle des absurdités faciles d’accès et aussitôt oublier (céder au culte de la marchandisation et du divertissement, ou de la société du spectacle, comme l’a définie Debord), mais que l’exigence réciproque entre l’écrivain et le lecteur est la clé d’une véritable diffusion en profondeur du sens.
L’usage des médias de masse pose enfin le problème de la contradiction entre la fin et les moyens : on utilise des moyens de communication qui vont à l’encontre du fond du message. Par exemple, le film Avatar exprime une forme de sacralisation du retour à la nature, célébrant un certain mythe du bon sauvage et la glorification d’un primitivisme pacifique en osmose avec la nature face à un cynisme scientifico-militaire déshumanisé, mais emploie tous les moyens de réalisation modernes : 3D, effets spéciaux, budget de production colossal, studio hollywoodien, recherche de profit et globalisation culturelle. Ce qui contredit totalement l’argumentation : on n’aurait pas pu faire Avatar si on avait respecté le message donné par Avatar ! En ce sens, Avatar réussit la prouesse (comme Cloaca, donc je parle ici) de constituer une magnifique mise en abîme : Avatar est l’avatar de l’œuvre qu’il prétend être, car Cameron utilise les mêmes procédés de haute technologie que les personnages de son film (qui créent les « avatars ») afin d’imiter les valeurs et le comportement du bon sauvage.
C’est la même chose pour tout cinéma de blockbuster hollywoodien qui se voudrait revendicatif : il s’agit d’abord de faire du fric et des entrées en salle ; s’il s’avère qu’asséner un message soi-disant rebelle est bankable, alors on fonce !
Être choisi par un camp
La limite de la propagande et de la médiatisation étant établie, qu’en est-il alors de la cible de l’écriture véritable ? Si cette écriture refuse la propagande, elle ne peut être sciemment d’un camp ou de l’autre. Être un traître à sa classe, c’est refuser la propagande de classe. C’est une voie médiane qui est celle de la neutralité, mais en aucun cas celle de l’inaction ou de l’absence d’engagement – bien au contraire. L’engagement du citoyen est d’autant plus fort et plus profond qu’il sait que son écriture, et les conclusions de son écriture, s’imposeront à lui, et non l’inverse.
Trois exemples :
J’ai abordé le navet à gros budget pseudo-écolo-tiers-mondiste-banania Avatar ; à l’opposé de ce cinéma exécrable, un chef d’œuvre : Princesse Mononoké (de Miyazaki). Le personnage principal entreprend un périple pour comprendre l’origine d’un mal qui le ronge, et espérer pouvoir s’en guérir. Sa devise :
Porter sur le monde un regard sans haine.
De fait, tout le long du film, Ashitaka prendra fait et cause à la fois pour l’industrie des hommes, la libération des femmes et le respect de la nature, en cherchant en permanence un équilibre instable pour éviter la catastrophe, sans occulter ni les travers ni les vertus de chaque camp.
Deuxièmement, dans un autre registre, Fight Club, de l’ex-réalisateur de publicité repenti (?) David Fincher. Peut-être le dernier exemple en date (1999, ça fait maintenant 16 ans quand même) de film de studio hollywoodien, bardé d’acteurs célèbres, dont on se demande comment il a pu passer entre les mailles du filet du système, pour finir en énorme flop commercial (ce qui est pour moi, dans ce cas, gage de sa qualité et de son intégrité). Fight Club, sans trop déflorer son scénario, termine en queue de poisson, mais là est justement son intérêt : après avoir montré très marxistement le fétichisme de la marchandise, la lutte des classes, la perte de sens du travail moderne (division du travail) et l’impossibilité de trouver sa place d’homme (une personne du genre masculin) dans ce monde-là, le personnage principal s’oppose finalement à son propre projet « anarchiste » et nous laisse dans le doute.
Tout comme les personnages de Houellebecq expriment les interrogations de notre temps en peinant à trouver des réponses et en vivant tant bien que mal ces impossibilités, Fight Club pose des questions sensibles très contemporaines sans donner de réponse autre que la confusion et le constat du chaos du monde. Chaos auquel le fantasmé Tyler Durden (l’inconscient du personnage principal) répond par le Projet Chaos. Chaos contre chaos, que la rationalité consciente du personnage incarné par Edward Norton s’interdit de cautionner. Les livres de Houellebecq, tout comme Fight Club, sont des œuvres situées, écrites par des écrivains en situation, pour parler comme Sartre, qui écrit, dans Qu’est-ce que la littérature ? :
Nous avons […] été amenés par les circonstances à mettre au jour les relations de l’être avec le faire dans la perspective de notre situation historique. […] Les oeuvres qui s’inspirent de telles préoccupations ne peuvent pas viser d’abord à plaire : elles irritent et inquiètent, elles se proposent comme des tâches à remplir, elles invitent à des quêtes sans conclusion, elles font assister à des expériences dont l’issue demeure incertaine. Fruits de tourments et de questions elles ne sauraient être jouissance pour le lecteur, mais questions et tourments. S’il nous est donné de les réussir elles ne seront pas des divertissements, mais des obsessions. Elles ne donneront pas le monde « à voir », mais à changer.
Troisième exemple, pour sortir du cadre cinématographique : les Lumières, et plus précisément : Voltaire. Voilà un courant, et un homme dans ce courant, qui ont entretenu des relations à la fois avec les souverains qu’en tant que conseillers du prince, ils ont tenté d’amener à des vues humanistes, mais aussi avec ce Tiers-Etat qui était à la fois sujet de leurs ouvrages (le Candide naïf), lecteur désigné à instruire et convaincre (tout autant que la noblesse dirigeante), et acteur de la révolution qui s’annonçait (en tant que bourgeoisie naissante). Devrait-on dire qu’en jouant sur tous les tableaux, les philosophes des Lumières se sont compromis ? Bien sûr que non ! Simplement, ils sont restés fidèles à leurs principes et à leurs convictions d’humanistes : s’ils pouvaient conspuer le pouvoir totalitaire et l’hypocrisie doctrinaire de l’Eglise, ils n’en étaient pas moins hommes en face d’autres hommes, qu’ils fussent princes, curés ou mendiants. L’humanisme ne tranche pas les hommes en catégories de bons ou de mauvais, de fréquentables et d’infréquentables ; il attaque un système déshumanisant et fait œuvre de don, de générosité et de gratuité afin de le combattre, ce qui n’est rien d’autre que de mettre en cohérence les moyens que l’on emploie avec les fins que l’on recherche. Cela sans angélisme, crédulité ou cynisme – bien au contraire.
Sartre écrit, à propos des Lumières :
[L’écrivain] plane, il survole, il est pensée pure et pur regard : il choisit d’écrire pour revendiquer son déclassement, qu’il assume et transforme en solitude ; il contemple les grands du dehors, avec les yeux des bourgeois et du dehors les bourgeois avec les yeux de la noblesse et il conserve assez de complicité avec les uns et les autres pour les comprendre également de l’intérieur. […]
L’appel que l’écrivain adresse à son public bourgeois, c’est, qu’il le veuille ou non, une incitation à la révolte ; celui qu’il lance dans le même temps à la classe dirigeante, c’est une invite à la lucidité, à l’examen critique de soi-même, à l’abandon de ses privilèges.
Ces œuvres peuvent être choisies par un camp ou l’autre car elles s’adressent à tous sans distinction ni stigmatisation sclérosante (sans haine ni rejet) ; elles ne promeuvent pas une vision partiale biaisée, mais fondent leur valeur sur la révélation de la complexité inextricable des situations qu’elles décrivent ; enfin, elles sont œuvres d’hommes agissant parmi d’autres hommes et les incitant à agir à leur tour, car elles n’ignorent pas la nécessité intrinsèque du choix, donc de l’engagement, c’est-à-dire la primauté du subjectif actant, par-delà bien et mal, en toute conviction et doutes mêlés.
Contre la passivité relativiste du laisser-aller ou toute tentation manichéenne simplificatrice de la propagande partisane, l’écriture véritable est la projection d’une subjectivité libre, dé-classée, sans caste ni frontières, consciente de son expropriation au monde par les doutes et le questionnement permanent qu’elle s’impose, et par conséquent, actrice envers elle-même et nécessairement envers la communauté humaine à qui elle s’adresse et qu’elle incite à agir, en quête d’une réappropriation nouvelle du monde, à la fois individuelle et collective – une quête de sens.
La pensée unique contredite : l’écriture révélatrice
C’est en choisissant son lecteur que l’écrivain décide de son sujet. Ainsi tous les ouvrages de l’esprit contiennent en eux-mêmes l’image du lecteur auquel ils sont destinés.
– Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?
Il est alors aisé de démasquer la propagande : elle parle aux uns pour s’opposer aux autres. Elle ouvre une grille de lecture des bons et des mauvais, des victimes et des bourreaux, des saints et des diables. Elle entérine des rapports préconçus et renforce les préjugés. Sartre (extrait du même ouvrage) :
La société s’y mire avec ravissement parce qu’elle reconnaît les pensées qu’elle forme sur elle-même ; elle ne demande pas qu’on lui révèle ce qu’elle est mais qu’on lui reflète ce qu’elle croit être.
Tandis qu’une écriture humaniste et universaliste ne laisse personne à l’écart. Elle décrit à la fois les hommes tels qu’ils sont, dans leur pluralité et leur complexité, et projette les hommes tels qu’ils devraient être, non pas par quelque procédé magique de modification de leur nature ou de réorganisation mécanique de la structure des rapports, mais justement parce qu’elle renvoie la responsabilité à chacun en tant qu’acteur du présent et créateur de potentiels futurs. Sartre (extrait du même ouvrage) :
Si la société se voit et surtout si elle se voit vue, il y a, par le fait même, contestation des valeurs établies et du régime : l’écrivain lui présente son image, il la somme de l’assumer ou de se changer. Et, de toute façon, elle change ; elle perd l’équilibre que lui donnait l’ignorance, elle oscille entre la honte et le cynisme, elle pratique la mauvaise foi ; ainsi l’écrivain donne à la société une conscience malheureuse, de ce fait il est en perpétuel antagonisme avec les forces conservatrices qui maintiennent l’équilibre qu’il tend à rompre.
Une de mes devises, qui devrait être inscrite au fronton de toutes les institutions représentant le pouvoir de toutes les formes d’Etats : ce qui ne change jamais, c’est le changement. Sartre, plus loin :
Si la perception même est action, si, pour nous, montrer le monde c’est toujours le dévoiler dans les perspectives d’un changement possible, alors, dans cette époque de fatalisme, nous avons à révéler au lecteur, en chaque cas concret, sa puissance de faire et de défaire, bref, d’agir. Révolutionnaire en ceci qu’elle est parfaitement insupportable, la situation actuelle [Sartre parle de l’après seconde guerre mondiale, mais cela s’applique autant aujourd’hui] demeure stagnation parce que les hommes se sont dépossédés de leur propre destin ; […] enseignons-leur qu’ils sont à la fois victimes et responsables de tout, ensemble opprimés, oppresseurs et complices de leurs propres oppresseurs et qu’on ne peut jamais faire le départ entre ce que l’homme subit, ce qu’il accepte et ce qu’il veut ; montrons que le monde où ils vivent ne se définit jamais que par référence à l’avenir qu’ils projettent devant eux. […]
Chacun, en inventant sa propre issue, s’invente soi-même. L’homme est à inventer chaque jour.
Pour répondre à la question : qui prêcher ? On prêche l’humanité toute entière en la révélant à elle-même et en lui intimant d’agir. L’écriture libre et véritable n’a de sens que si elle rencontre des libertés véritables, disposées au changement. Aux pessimistes-relativistes qui y verront une impossibilité et un vœu pieux, Sartre conclut :
L’art d’écrire […] est ce que les hommes le font, ils le choisissent en se choisissant. S’il devait se tourner en pure propagande ou en pur divertissement, la société retomberait dans la bauge de l’immédiat, c’est-à-dire dans la vie sans mémoire des hyménoptères et des gastéropodes. Bien sûr, tout cela n’est pas si important: le monde peut fort bien se passer de la littérature. Mais il peut se passer de l’homme encore mieux.
Je viens de regarder Fight Club (on me l’a recommandé plusieurs fois, j’avais jamais pris le temps), comment tu fais pour associer l’anarchisme au chaos ?
L’étymologie du mot est pourtant claire, l’absence de décideur (pas l’absence de décision).
Pour soutenir telle corrélation il ne fallait surtout pas prendre ce film en référence où Tyler décide, seul (si je puis dire ^^), de tout.
La question que je me pose : comment as-tu pu passer à côté ?
Je ne vois qu’une explication cohérente : ton habitus.
« comment tu fais pour associer l’anarchisme au chaos ? »
Tu as raison : c’est l’acception vulgaire du terme « anarchie » (tel que défini par Larousse : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/anarchie/3271?q=anarchie) : je modifie donc l’article en conséquence en ajoutant des guillemets. L’anarchie ne se laisse d’ailleurs pas définir, étant donné que les anarchistes se sont toujours confrontés en divers mouvements : anar-socialistes (an-socs), anar-capitalistes (an-caps), pro-civilisation, anti-civilisation, etc. Un article en préparation là-dessus…
Dans Fight Club, le projet « anarchiste » qui transparaît vaguement se résume aux dires de Tyler : « Dans le monde tel que je le vois, on chassera des élans dans des forêts humides et rocailleuses du Rockfeller Center. On portera des vêtements en cuir qui dureront la vie entière. On escaladera des immenses lianes qui entoureront la tour Sears. Et quand on baissera les yeux, on verra de minuscules silhouettes en train de piler du maïs ou de faire sécher de fines tranches de gibier sur l’aire de repos déserte d’une super-autoroute abandonnée. »
On est plutôt dans « l’anarchisme » anti-civilisation, donc… mais ce film, comme je l’écris, n’a pas pour vocation de fournir une vision claire et construite d’un monde alternatif, mais évoque le doute émanant de la certitude que le monde actuel est à changer, mais que le remède pourrait être pire que le mal.
A noter, pour info : dans le livre de Chuck Palahniuk dont le film est issu, la fin est sensiblement différente de celle du film : Tyler se suicide pour de bon. Il monte au ciel, et là, des anges l’accueillent aux côtés de Dieu…
C’était peut-être un peu trop pour les studios… mais Tyler doit être vu comme un prophète, avec ses visions, ou « illuminations »… comme Jésus ou Mahomet… comme Jésus sur la croix, Tyler/Norton s’est senti abandonné par Tyler/Pitt, en plein doute…
Le Fight Club est d’ailleurs aussi une religion, qui a ses commandements : la première règle du Fight Club est…
Enfin, ce passage qui décrit la psalmodie autour des combats, et le sentiment de rédemption qui s’ensuit :
« You see a guy come to fight club for the first time, and his [butt] is a loaf of bread… six months later, and he looks carved out of wood… There’s hysterical shouting in tongues like at church, and when you wake up Sunday afternoon you feel saved. »
Prêcher, donc, d’une autre façon… 😉
Sans contredis, j’attends impatiemment cet article 🙂
Prêcher ?
Que voilà une étrange idée.
Ça te passera avant que ça me reprenne, et je ne dis pas ça par relativisme (par pessimisme peut-être, un peu).
Un mot sur Voltaire, la propagande bourgeoise, le manichéisme et l’équilibre.
Tu n’ignores pas que Voltaire avait une vision oligarchique de la société, cette lumière est un autre obscurantisme ; la violence des classes sociales dominantes ne saurait être atténuée par les bonnes intentions induites par ses intellectuels, et encore si celles-ci ne relèvent pas du fantasme.
Si équilibre il peut y avoir, il faudra faire contrepoids à la structure hiérarchique oligarchique, ce qui revient à la détruire puisque c’est lui enlever sa raison d’être : la domination ; nous sommes en guerre et il n’y a pas de réalité en dehors pour l’humanité (sauf à faire l’autruche) ; s’il n’est ni bien ni mal, la guerre c’est la paix.
D’abord, que signifie « oligarchie » ? Est-ce le rassemblement des forces du mal contre les gentils-innocents-victimes-bienfaiteurs-brimés ? Manichéisme et conspirationnisme ? Lecture définitivement simpliste et qui ne mène nulle part – elle n’a d’ailleurs concrètement jamais mené les « desperados » de la rébellion quelque part (à une alternative viable)…
Ah, mais c’est parce que le monde entier est en guerre, à jamais ! On peut arrêter d’écrire et de penser, et faire la guerre, puisqu’il n’y a pas de « réalité en dehors de la guerre ». Et c’est toi qui parle d’obscurantisme ?
Mais les hommes qui se prêtent à ce genre d’activités, et à ce qu’elles engendrent, sont précisément ceux que je cherche à éviter, et à ne pas rejoindre : il y a donc bien une réalité en dehors de la guerre, si on la crée. Voilà pourquoi, d’une part, je prône de refuser de se faire la marionnette d’un camp contre l’autre, et que d’autre part, j’emploie volontairement le terme « prêcher », qui se réfère précisément à la croyance : « sans l’espérance tu ne trouveras pas l’inespéré » – Héraclite.
Enfin : la dynamique de l’Histoire est le conflit, la concurrence, le « doux » ou dur commerce, etc. pas nécessairement la guerre, qui est l’emploi de la violence militairement organisée comme unique moyen de domination, d’exploitation ou d’extermination. Ce qui nous amène à la notion de violence, à ses diverses formes de manifestation, à sa potentielle légitimation, à sa monopolisation par l’Etat ou d’autres organismes, aux moyens de la réduire, etc. tout ceci est au cœur du sujet et de ma réflexion.
Car effectivement, si la face du monde doit changer, si l’Histoire peut être autre chose qu’une répétition de massacres, si le progrès peut encore signifier quelque chose, c’est l’arrêt de la guerre (et la continuation de l’Histoire par d’autres moyens) qui doit nous préoccuper en premier lieu.
Voltaire : « Presque toute l’Histoire est une suite d’atrocités inutiles » (Essai sur l’Histoire générale, 1756)
Si ces atrocités sont effectivement inutiles, pourquoi se borner à systématiser, ou à tout le moins, à accepter passivement et cyniquement leur succession ? Au contraire : systématiser leur incapacité à se produire (par une connaissance intime, sans dogmatisme ni angélisme, des rapports historiques, des aspirations contradictoires et des conflits inhérents à l’humain) voilà un projet ambitieux et porteur de sens, de progrès et d’avenir.
Ah s’il te plaît, je me suis mal exprimé en disant « nous sommes en guerre et il n’y a pas de réalité en dehors pour l’humanité », je parlais dans le contexte où nous sommes (depuis un bail, c’est vrai) et pas d’une réalité immuable ; au temps pour moi, j’ai pensé qu’il pouvait y avoir confusion en l’écrivant mais que tu te laisserais guider par le point virgule ; my bad comme on dit outre atlantique.
L’oligarchie est établie si le système de gestion sociétal sert les intérêts d’une minorité et non pas l’intérêt général, tu le sais très bien ; c’est anti-démocratique et c’est la porte ouverte au fascisme, tu le sais également.
(pour mémoire fascisme = communautarisme + organicisme ; l’humain étant ce qu’il est, même avec les meilleures intentions du monde une oligarchie dérivera fatalement : « Toute la faiblesse de n’importe quel homme le tire du même côté. La pente est à droite »
Alain)
« L’esprit d’une nation réside toujours dans le petit nombre, qui fait travailler le grand, est nourri par lui et le gouverne. » Voltaire (Les mœurs)
(je ne retiens pas comme argument le fait que c’était un esclavagiste notoire pour ne pas faire d’attaque ad hominem, mais j’en pense pas moins)
Rapidement sur la guerre, elle ne se limite pas au conflit armé entre pays (cf. Le Larousse).
Je suis en parfait accord avec le dernier paragraphe de ton commentaire, encore une fois nous sommes d’accord sur le fond.
Il n’y a peut-être pas de hasard, ni de coïncidence, peut-être qu’en écrivant tu m’as choisi comme lecteur pour éprouver ta vision « sans dogmatisme ni angélisme » ; pointer les faiblesses d’un raisonnement c’est à peu près tout ce que je sais faire.
« L’oligarchie est établie si le système de gestion sociétal sert les intérêts d’une minorité et non pas l’intérêt général »
Je pense que le discours du FN est largement fondé sur l’idée qu’en France, nous vivons dans une oligarchie (UMPS & co.). Ce que je crois, c’est que nous vivons dans une démocratie largement bancale (je reviendrai dans un article sur cette notion) mais que les seuls responsables sont les électeurs eux-mêmes : d’une part, le gouvernement est mou (http://pensees-uniques.fr/la-galaxie-des-mouvements-dissidents-renverser-hollande/), d’autre part, le clientélisme est roi (http://pensees-uniques.fr/combien-coute-un-electeur/), enfin, le mensonge est largement admis et impuni (http://pensees-uniques.fr/raison-secret-et-mensonge-detat/).
Je pourrai continuer avec le nationalisme rampant (http://pensees-uniques.fr/la-rhetorique-ridicule-des-nationalistes-de-comptoir/), le renoncement complice des nouvelles générations (http://pensees-uniques.fr/complicite-generationnelle-contre-choc-des-generations/) ou encore la frilosité conservatrice (http://pensees-uniques.fr/pantouflards-et-terrifies/)…
Tout ça fait que nous avons sans doute la classe politique que nous méritons. Je réfute donc l’appellation d’oligarchie, mais je parlerai plutôt de démocratie à bout de souffle, dans un Occident épuisé ne croyant plus que cyniquement en lui-même (et n’ayant plus aucun scrupule à agir cyniquement, sous le regard de populations désabusées et complices : http://pensees-uniques.fr/hollande-ce-fier-vendeur-armes/).
« L’esprit d’une nation réside toujours dans le petit nombre, qui fait travailler le grand, est nourri par lui et le gouverne. » Voltaire (Les mœurs)
Jusqu’alors, cette proposition n’a jamais été démentie. Ce qui ne veut pas dire que Voltaire souhaitait que cela perdure… Mais le grand changement viendrait d’un bouleversement de cet état de fait, bien d’accord.
« Rapidement sur la guerre, elle ne se limite pas au conflit armé entre pays »
Si : les autres définitions ne sont que des métaphores, des détournements du terme initial. Quand « un couple se fait la guerre », par exemple, le terme « guerre » se réfère à la guerre des armées pour exprimer une situation individuelle extrêmement tendue et violente.
Idem pour la « guerre économique » (concurrence exacerbée, protectionnisme, guerre monétaire, etc.) qui n’est qu’un dérivé de la notion première de guerre – d’autres parleront (à tort) « d’ultra-libéralisme », par exemple. Idem pour la propagande, qui est d’ailleurs souvent un outil de guerre (pour attiser la violence des foules ou justifier l’injustifiable)….
Comme on a vu avec l’anarchisme les définitions de nos dictionnaires ne sont pas impartiales, mais ça permet de se faire une idée. (tu dis que l’anarchisme ne se laisse pas définir, je retiens les définitions énoncées ici ; ce ne sont que les miennes, j’admets qu’elles ne soient pas d’une acceptation usuelle, mais je les tiens pour vraies et a minima comme nécessaires à la compréhension -ce qui est l’essentiel dans la quête de vérité qui est la mienne-)
Peut-on s’accorder là dessus (?) :
D’une part le terme guerre peut être utilisé comme métaphore pour décrire une situation violente et tendue entre divers protagonistes, c’est entendu.
D’autre part le terme guerre est utilisé dans son sens premier pour qualifier un conflit armé (pas forcément entre nations mais entre puissances disposant d’armes), c’est dés lors ce qui peut être utilisé comme arme qui peut être sujet à controverse, et c’est probablement la source de notre désaccord sur ce point.
Je peux donc légitimement défendre mon point de vue selon lequel le prolétariat est en guerre contre la classe dominante et que ceci, dans la temporalité où nous sommes, est une réalité indépassable.
Pour ce qui est de voltaire je ne crois pas qu’il s’agissait là d’un simple constat mais de sa conception d’un ordonnancement naturel immuable ; c’est un libéral (peut être l’incarnation du libéralisme), ce n’est pas très surprenant.
Démentir cette proposition est tout l’enjeu de l’humanisme.
Sur la démocratie, la définition que je retiens est donnée dans le billet en lien plus haut et elle suffit à soutenir que nous ne sommes pas en démocratie ; c’est une définition exclusive, nécessaire et suffisante (elle est inspirée de celle donnée par Paul Ricoeur) (et laisse ouverte la question de ce qui constitue le groupe, le peuple, la nation).
« c’est dès lors ce qui peut être utilisé comme arme qui peut être sujet à controverse, et c’est probablement la source de notre désaccord sur ce point.
Je peux donc légitimement défendre mon point de vue selon lequel le prolétariat est en guerre contre la classe dominante »
Je ne vois pas la relation de cause/conséquence : étant donné que justement tu ne définis pas la nature des « armes » utilisées par les uns ET par les autres, car une guerre est l’affrontement d’au moins deux camps armés (sinon, si un seul camp est armé, alors on ne peut pas non plus parler de guerre, mais, par exemple, d’occupation, de dictature, de totalitarisme, etc.), je ne vois pas comment tu peux en arriver à cette conclusion.
Pour dire le fond de ma pensée : entre « le prolétariat » (qui est-ce, en 2015 ?) et la « classe dominante » (même question), si ces deux groupes existent (ce dont je doute, car je ne constate rien d’homogène, ni en France, ni dans le monde, qui puisse corroborer cette vision binaire), on pourrait parler de « lutte » pour être dans la tradition, mais je préfère dire « conflit d’intérêts », et en aucun cas « guerre ».
La guerre existe, en 2015 : elle est le plus souvent « civile » (sans distinction nette entre combattants et civils – pris pour cible, et par conséquent acteurs potentiels du conflit afin d’assurer leur propre défense), « non-conventionnelle » (c’est-à-dire, sans front armé établi ni armées régulières s’opposant sur un champ de bataille) et engendre des exactions et massacres.
C’est pourquoi je ne veux pas minorer la réalité de la guerre en la confondant avec le conflit social : « Air France, combien de morts, avec quelles armes ? » Ce faisant, je ne nie pas la réalité du conflit, mais je me refuse à parler de guerre – cela me semble irrespectueux pour ceux qui subissent la guerre.
Pour terminer : en ce qui concerne le conflit social dans les pays développés, il me semble que « l’arme » partagée par les deux camps est la morphine, ou la pantoufle. Le confort conduit au conformisme (http://pensees-uniques.fr/le-cynisme-numerique/). Pour rester sur Fight Club : « les choses que l’on possède finissent par nous posséder » ; voilà l’arme qui se retourne contre soi-même, et chacun veut égoïstement et avec la myopie du court-terme conserver ses acquis.
Je pense par conséquent qu’il est hors de question de prendre parti pour un camp ou un autre au sein d’un tel conflit, qui n’est qu’un jeu de dupes – mieux vaut renvoyer les adversaires dos à dos, chacun à ses contradictions, incapables qu’ils sont de produire des solutions durables.
« Pour ce qui est de voltaire je ne crois pas qu’il s’agissait là d’un simple constat mais de sa conception d’un ordonnancement naturel immuable ; c’est un libéral (peut être l’incarnation du libéralisme), ce n’est pas très surprenant.
Démentir cette proposition est tout l’enjeu de l’humanisme. »
Euh… d’une part, Voltaire, en tant que philosophe des Lumières, s’intègre dans le cortège des humanistes (et être « libéral », c’est-à-dire anti-conservateur et anti-réactionnaire, est, au XIXe siècle, la continuation de ce mouvement), et d’autre part, je ne crois pas que Voltaire, si l’on s’intéresse à sa biographie autant qu’à ses écrits, ne soutenait ni un soi-disant « ordre naturel immuable » (il critique assez Rousseau sur « l’état de nature » pour ne pas adhérer à une idée d’ordre naturel, et soutient la constitution, les lois dont l’habeas corpus, l’indépendance de la justice, etc. qui sont autant d’initiatives de ne pas subir passivement ce prétendu ordre immuable), ni n’observait de dévotion envers une oligarchie dominante par laquelle il a été rossé et embastillé, puis contraint à l’exil, et a donc vécu dans sa chair l’injustice des puissants (https://fr.wikipedia.org/wiki/Voltaire#Premiers_succ.C3.A8s_litt.C3.A9raires_et_retour_.C3.A0_la_Bastille_.281718-1726.29)…
Je veux bien que l’on critique l’homme (nul n’est blanc ou noir), mais de là à faire de Voltaire un allié objectif du despotisme monarchique, on se pince !
Je te réponds dans le désordre et en vrac 🙂
« le prolétariat (qui est-ce, en 2015 ?) »
J’ai donné ma définition sur un autre commentaire ; le prolétariat est la part de citoyens opposée à tout ce qui est immoral (morale = ce qui est bon, un bien, un bienfait). C’est largement en dehors de la vision marxiste, sans s’en exclure totalement ; cela vient du fait que pour moi Marx produit une analyse critique du capitalisme industrio-financier (déjà néo-libéral pour une bonne part) mais pas de l’idée du capitalisme (capitalisme = système visant à l’accroissement de valeur d’une ressource donnée ; potentiellement du capital humain humaniste), donc le prolétariat ne saurait être seulement la classe sociale opposée au capitalisme ; il s’oppose au capitalisme industrio-financier néo-libéral pour ce qu’il a d’immoral.
« la classe dominante (même question) »
50% du patrimoine de la nation appartient à 10% de la population, la moitié de ce qui reste à 20%, le quart restant aux 70% restant ; la classe sociale dominante est a minima représentée par ce premier décile.
« tu ne définis pas la nature des « armes » utilisées par les uns ET par les autres »
Sciemment, tout peut potentiellement être une arme ; je crois que de nos jours l’arme favorite de la classe sociale dominante est la manipulation par cybernétique sociologique interposée (le PJLR est symptomatique). Ce que tu nommes « la morphine, ou la pantoufle ».
Dans cette guerre on ne compte pas seulement les corps, on compte l’aliénation de l’être, soit autant de petites morts.
Mais s’il te faut du sang, les morts de la guerre économique worldwide sont statistiquement aussi morts que les autres morts (et le chiffre dépasse de loin la somme de tous les fascismes que nous avons connu).
« être « libéral », c’est-à-dire anti-conservateur et anti-réactionnaire, est, au XIXe siècle, la continuation de ce mouvement [humaniste] »
La définition que je donne du libéralisme porte en elle une contradiction indépassable qui exige soit de basculer dans le néo-libéralisme ou ultra-libéralisme (en reniant le libéralisme, ce qui rend les appellations abusives, bien qu’historiquement fondées) (au mieux dans le libertarianisme mais ce dernier retombe in fine sur la même contradiction liée à la propriété lucrative et à la domination), soit d’adopter l’idéologie libertaire.
Le libéralisme est émancipateur de l’état de nature par rapport à une monarchie ou un totalitarisme quelconque, ce n’est donc pas péjoratif quand je dis que Voltaire est un libéral, et certainement qu’à son époque cela participe de l’humanisme ; mais le libéralisme s’il ne sort pas de sa contradiction (ou s’il en sort par le néo-libéralisme ou le libertarianisme) est encore la continuation de l’état de nature (état de nature = grégaire + théorie de l’évolution).
Je sens que je ne m’exprime pas correctement. Pour être clair : le libéralisme conçoit une forme de méritocratie voire d’aristocratie (potentiellement d’oligarchie) du moment que celles-ci n’ont pas de velléités dominatrices (ce qui ne manque jamais d’advenir étant donné ce qu’est la nature humaine…) (et le libéralisme du fait même de sa conception quasi absolue de la liberté ne peut proposer de solution intrinsèque).
Je ne connais pas suffisamment l’œuvre de Voltaire pour l’affirmer, je préjuge que c’est un libéral pure souche (et ce que tu dis semble corroborer cette intuition), donc je n’en fais pas l’allié objectif du despotisme monarchique, tu peux cesser de te pincer.
Pour ce qui est de l’homme, je n’ai toujours pas l’intention de produire d’argumentaire ad hominem, mais si tu veux mon avis il aurait basculé dans le libertarianisme et le capitalisme financier à fond les ballons ^^
« Je pense par conséquent qu’il est hors de question de prendre parti pour un camp ou un autre au sein d’un tel conflit »
L’humanisme exige que l’on prenne parti, pour l’humanité, personne n’est neutre, personne n’est innocent.
Tu te doutes bien que les réponses que tu donnes pour définir le « prolétariat » et la « classe dominante » en 2015 ne sont pas celles que j’attendais… c’est-à-dire, une analyse plus sociologique de la question (mais aussi démographique, géographique, historique et enfin politique). Or, réaliser ce type d’analyse, c’est certainement aboutir, à cause de la diversité des cas révélant une absence d’homogénéité à tous les niveaux, à un démantèlement des notions de « prolétariat » et de « classe dominante » comme capables de représenter des catégories de populations précisément définies. Voilà pourquoi je ne crois pas à la réalité de ces concepts aujourd’hui, bien qu’ils aient eu une réalité au 19e siècle, au moment où Marx les met à jour selon une méthodologie pré-sociologique, à partir de l’étude du réel (usage et spoliation du capital et conditions de la vie ouvrière, notamment en Angleterre) ; ce qu’il en reste au 21e siècle, en Occident, sont les ersatz d’une pensée idéologique traditionaliste qui n’a pas su se réformer pour embrasser de nouvelles réalités (comme si le monde n’avait pas changé).
Sur l’axe politique notamment, c’est-à-dire « que veulent-ils ? que revendiquent-ils ? », je ne constate que convergence d’intérêts : c’est pourquoi j’employais les termes « morphine » et « pantoufle », qui est la recherche du confort dans l’assoupissement, aussi bien côté « prolétariat » que « classe dominante » (aucun rapport avec la « cybernétique sociologique interposée » : c’est quoi ce délire ?). Chacun tire cette même couverture à soi – et la « classe dominante », par définition même, est celle qui y réussit le mieux. Je me répète : le « prolétariat » s’est embourgeoisé et conspue une « classe dominante » dont il rêve en réalité de faire partie – ou plutôt, d’accéder aux mêmes privilèges tout en préservant sa bonne conscience morale de façade.
D’ailleurs, c’est comme ça que tu définis le « prolétariat » : ceux qui sont moraux, c’est-à-dire, donc, le « camp du bien ». Ce qui signifie que les « autres », au moins 10 ou 20% de la population selon tes dires (ceux qui possèdent une part majoritaire du patrimoine, comme si cela était une caractéristique suffisante pour définir des réalités humaines complexes voire paradoxales…), sont immoraux par principe. C’est toujours un « eux » contre un « nous » : la vision manichéenne du monde et le discours de diabolisation qui instille la peur et le rejet de « l’autre », que l’on retrouve à chaque fois que des camps se retranchent dans leurs certitudes simplistes (j’en parle notamment ici : http://pensees-uniques.fr/retablir-et-revaloriser-la-parole-publique/). Simplisme et peur, qui sont deux outils de la propagande, elle-même source de tous les totalitarismes. Car le totalitarisme dit ceci : » « nous » (le camp du bien, les moraux, les purs) sommes irréconciliables avec « eux » (les diables, les immoraux, les impurs) ; ils tentent de nous contaminer ; nous n’avons d’autre choix que de les supprimer. »
Tu prétends être un « propagandiste » (tu l’as écrit ailleurs), mais je pense qu’il faut au contraire se refuser à toute propagande, et c’est pourquoi je parle dans cet article de la nécessité « d’être un traître à sa classe ». En outre, j’ai fait mien l’adage selon lequel « la fin ne justifie jamais les moyens » (j’explique là pourquoi : http://pensees-uniques.fr/la-fin-ne-justifie-jamais-les-moyens/).
« L’humanisme exige que l’on prenne parti, pour l’humanité, personne n’est neutre, personne n’est innocent. »
Là dessus, on est totalement d’accord : sur la responsabilité (individuelle et citoyenne, notamment), j’en ai déjà beaucoup écrit. Concernant le devoir d’être engagé sans devenir le partisan propagandiste d’un camp ou de l’autre (ce qui a un effet contre-productif), je l’explique dans ce présent article.
Qui a parlé d’homogénéité ? Il s’agit de trouver des dénominateurs sociaux communs afin d’établir des catégories, et je n’ai aucune ambition à aller au delà je ne suis pas sociologue.
La définition que j’ai donné du prolétariat est donc nécessaire et suffisante, et se veut pour représentative du réel contractuel.
La définition que j’ai donné de la classe dominante est insuffisante, j’ai présenté une caractéristique a minima et je l’ai dit. Les autres caractéristiques sont à chercher du côté des habitus liés à la domination.
Le prolétariat n’aspire en aucun cas à devenir calife à la place du calife, ni à s’assoupir, ça c’est ta vision.
Tu ne crois peut-être pas à la réalité de ces classes sociales mais l’asservissement des plus pauvres et l’endogamie des plus aisés est une réalité. Ordre naturel des choses ? Qu’y a-til de naturel au sein de l’assemblage culturel qu’est la société humaine ? Je te l’ai dit, j’ai passé l’âge des jolies fables.
Sur la cybernétique appliquée à la sociologie, cf. La cybernétique, information et régulation dans le vivant et la machine, de Norbert Wiener.
« nous » (le camp du bien, les moraux, les purs) sommes irréconciliables avec « eux » (les diables, les immoraux, les impurs) ; ils tentent de nous contaminer ; nous n’avons d’autre choix que de les supprimer. »
Tu m’auras mal lu, ou mal compris, je me suis pourtant efforcé d’être le plus clair possible ; comme je l’ai dit résumer ceci à une lutte cosmique du bien contre le mal est une caricature, il s’agit en fait d’opérer les choix de l’auto-déterminisme en conscience de l’essence dichotomique de l’être humain (altruisme et égoïsme), et forcément c’est un choix avec une dimension morale forte ; simplifier la position de son interlocuteur pour pouvoir contre-argumenter plus aisément est un sophisme.
Je ne suis pas un propagandiste, en tous cas je ne me considère pas comme tel, encore une fois tu m’auras mal lu.
« Qui a parlé d’homogénéité ? Il s’agit de trouver des dénominateurs sociaux communs afin d’établir des catégories »
L’homogénéité représente précisément ces « dénominateurs sociaux communs » – or, c’est bien le sens de ma question : quels sont-ils qui permettent de parler d’une catégorie sociale homogène nommée « prolétariat » ?
« La définition que j’ai donné du prolétariat est donc nécessaire et suffisante, et se veut pour représentative du réel contractuel. »
Non : cf. ci-dessus : je ne vois dans ta définition qu’un jugement de valeur qui ne représente en rien le « réel », sinon celui que tu considères selon ta vision des choses. Tu n’as donc toujours pas répondu à la question de la définition du prolétariat en 2015. Ni, pour les mêmes raisons, de la « classe dominante ».
« Le prolétariat n’aspire en aucun cas à devenir calife à la place du calife, ni à s’assoupir, ça c’est ta vision. »
Jusqu’ici, c’est ce qui s’est passé : l’assoupissement dans le confort du recroquevillement sur soi. Le vote FN dans les couches populaires en est un symptôme. Mais si tu peux prouver le contraire, je t’écoute !
« l’asservissement des plus pauvres et l’endogamie des plus aisés est une réalité »
Une chose sur laquelle on est d’accord ! Petite précision toutefois : le « prolétariat » n’étant pas pour moi, ni pour toi au vu de ta définition, uniquement composé des plus pauvres, les prolétaires les plus riches sont-ils du côté des asservis ou de la force d’asservissement ? C’est de cette catégorie dont je parle : les prolétaires occidentaux. Pas des esclaves brimés des pays pauvres – c’est une toute autre situation. Ce que je dis, c’est qu’il n’y a pas convergence entre ces deux catégories de « prolétariat », mais opposition. Et qu’au contraire, il y a davantage de convergence entre un prolétaire occidental et un patron occidental, à la fois dans la vision conservatrice du monde et l’aspiration au bien-être matériel : l’augmentation du pouvoir d’achat est 100% compatible avec l’augmentation des riches – car le grand patron a besoin de consommateurs solvables (2/3 du PIB des pays riches provient de la consommation des ménages). Le consumérisme et le conservatisme sont de puissants alliés.
« Tu m’auras mal lu, ou mal compris, je me suis pourtant efforcé d’être le plus clair possible »
J’ai bien écrit avant la phrase que tu cites : « le totalitarisme dit ceci ». Ce ne sont donc pas des mots ni des intentions que je te prête, mais une manière d’alerter sur les dérives réelles de positionnements moraux trop manichéens.
« il s’agit en fait d’opérer les choix de l’auto-déterminisme en conscience de l’essence dichotomique de l’être humain (altruisme et égoïsme), et forcément c’est un choix avec une dimension morale forte »
On est d’accord. Mais cette morale ne doit pas être stigmatisante et pointer du doigt les uns contre les autres, mais au contraire faire prendre sa part de responsabilité à tous – chacun selon la place et les travers qui sont les siens. C’est pourquoi je ne veux pas d’une vision de ceux qui seraient les pauvres victimes innocentes face à de méchants bourreaux sans cœur – même si certains sont très proches de la situation de la victime innocente (notamment ceux-là : http://pensees-uniques.fr/les-raisons-de-lemigration-humanisation-des-migrants/) tandis que d’autres sont à l’autre bout de l’échelle (http://pensees-uniques.fr/le-cynique-espoir-du-patronat-mondialise/ ou http://pensees-uniques.fr/le-cynisme-numerique/). Mais ce sont des cas précis, et non des généralisations comme « prolétariat » ou « classe dominante ».
« Jusqu’ici, c’est ce qui s’est passé : l’assoupissement dans le confort du recroquevillement sur soi. »
Ceci est vrai pour une partie de la population, pas pour celle nommée prolétariat (selon la définition que j’en donne évidemment) ; le fait qu’une partie (potentiellement majoritaire) des couches plus ou moins populaires succombent au chant des sirènes du système n’implique en rien le prolétariat, je crois que tu confonds le prolétariat et le sous-prolétariat. (le sous-prolétariat est tout autant conscient des enjeux moraux que le prolétariat mais donne la priorité à sa jouissance matérialiste) (NB : prolétariat et sous-prolétariat n’englobent donc pas la part de population inconsciente des enjeux moraux)
Quelle que soit ta conception des choses, tu ne peux nier que le fait même d’être citoyen implique de prendre et avoir conscience de ce qui est bon pour la société ; la société étant d’essence morale, cela revient à dire que cela implique de prendre et avoir conscience des enjeux moraux. C’est cette part là de la population, aussi infime soit-elle, qui assume absolument ses devoirs citoyens et leurs dimensions morales, que je nomme prolétariat. (si le mot te déplais, retiens-en juste le signifié, ça change rien, qu’est-ce que tu veux que je te dises ???)
Ainsi j’ai répondu, définitivement, à ta question « quels sont [les dénominateurs sociaux communs] qui permettent de parler d’une catégorie sociale homogène nommée « prolétariat » ? » : il s’agit de la part de population qui se reconnait dans la citoyenneté et souhaite à ce titre prendre et avoir conscience des enjeux moraux sociétaux et assumer pleinement les devoirs que cela implique au nom de l’humanisme et de l’intérêt général. (soit en version courte : la part des citoyens opposés à ce qui est immoral)
« le « prolétariat » n’étant pas pour moi, ni pour toi au vu de ta définition, uniquement composé des plus pauvres, les prolétaires les plus riches sont-ils du côté des asservis ou de la force d’asservissement ? »
La réponse est dans la question, puisqu’ils sont prolétaires, n’est-ce pas ?
« cette morale ne doit pas être stigmatisante et pointer du doigt les uns contre les autres, mais au contraire faire prendre sa part de responsabilité à tous – chacun selon la place et les travers qui sont les siens. »
Nous sommes d’accord, mais cela n’implique pas d’être naïf pour autant, la classe dominante (et le sous-prolétariat) n’ont aucune intention de prendre cette part de responsabilité. D’où le conflit ouvert qui oppose ces deux classes.
Toutefois je le répètes qu’il n’est pas de la volonté prolétaire d’imposer à qui que ce soit, seulement de ne pas se laisser imposer (avec pour corollaire paradoxal immédiat que ne pas se laisser imposer conduit à imposer).
Je réponds ici à ton dernier commentaire (faute de pouvoir imbriquer plus de réponses).
Ok, je comprends mieux ta définition de « prolétariat ». Mais il faut avouer qu’elle est très éloignée de toutes les définitions que l’on a pu lui donner jusqu’ici, y compris depuis son origine (https://fr.wikipedia.org/wiki/Prol%C3%A9tariat). Utiliser un terme si connoté, qui désigne pour tout le monde « ouvrier » ou « travailleur pauvre », prête à confusion.
En fait, tu rejoins ma définition de « héros-citoyen » (voir ici : http://pensees-uniques.fr/communication-du-savoir-de-lexpertise-a-la-democratisation/). Et il me paraît inconcevable de réaliser une sociologie d’un tel profil de personne en tant que catégorie à part entière, ni non plus d’attendre à ce que ce type d’individus se reconnaisse comme une « classe » – puisque précisément, le « héros-citoyen » peut provenir de n’importe quelle classe (classe qu’il aura « trahie » puisque sa posture créatrice le place dans une situation de renouveau et d’anti-conservatisme). En d’autres termes, ton « prolétariat », tout comme mon « héros-citoyen », ne sont que des idéaux conceptuels visant à établir des normes morales (on se rejoint là-dessus) et d’exemplarité pour l’homme – et non pas la désignation d’un groupe social particulier désigné par un mode de vie et des conditions de vie spécifiques et observables (alors que c’est le cas pour le « prolétariat » au sens classique ou marxiste).
Comme quoi, je comprends vite, mais il faut m’expliquer longtemps !
« il n’est pas de la volonté prolétaire d’imposer à qui que ce soit, seulement de ne pas se laisser imposer (avec pour corollaire paradoxal immédiat que ne pas se laisser imposer conduit à imposer) »
Mais si on sait que l’on va nécessairement « imposer » quelque chose, autant le penser : donc, porter un projet, « son » projet – sans qu’il n’aie toutefois de velléités globalisantes.
Oui, ce que tu nommes « héros-citoyen » est assez proche ; je ne peux m’approprier le terme puisque la notion de héros résonne chez moi comme ayant un caractère exceptionnel, de dépassement de soi inaccessible au commun des mortels ; alors que c’est juste être citoyen, tu en conviendras. Toutefois je me réjouis que tu aies compris le sens de mon propos.
Sur le prolétariat, c’est la définition usuelle qui est erronée puisque le capitalisme n’est pas strictement accumulation de capital mais accroissement de valeur d’une ressource donnée (de fait accumulation de capital pour la ressource financière), aussi le prolétariat ne peut être strictement que la classe ouvrière ou que la classe opposée au « capitalisme », et peu importe ce qu’il a fallut pour que l’histoire nous conduise à cette simple vérité (et peu importe si je dois m’attirer le courroux des marxistes).
Une catégorie sociale est forcément abstraite avant de trouver des individus qui correspondent aux prérequis, aussi je crois que cela est suffisant pour parler de catégorie sociale, donc de classe ; ici le fait de se reconnaître appartenir à cette catégorie sociale est constitutif de la classe sociale.
« Mais si on sait que l’on va nécessairement « imposer » quelque chose, autant le penser : donc, porter un projet, « son » projet – sans qu’il n’aie toutefois de velléités globalisantes. »
Je ne suis pas d’accord, ce serait considérer comme allant de soi qu’il faille imposer ce qui sera perçu par autrui comme une privation de liberté unilatérale, or ce n’est pas le cas, c’est une privation de liberté individuelle mutuellement consentie pour mener à une plus grande liberté collective dont l’individu jouira indirectement ; ce qui n’empêche pas d’exprimer une volonté de construction sociétale.