Archives de catégorie : 1.2 (re)Définitions

La désobéissance civile comme liberté des peuples

Jacques Rancière définit l’opposition entre la police (pouvoir gouvernemental) et la politique (processus d’émancipation) comme l’essence du politique. En d’autres termes, il fait s’affronter la rigidité d’un corps constitué de normes (l’Etat) avec la volonté et le désir d’individus souhaitant exprimer leur liberté dans l’égalité de tous. Face à cet Etat hiérarque qui « fait du tort à l’égalité », le citoyen libéré qui cherche à éviter l’emploi d’une violence face à une autre (car la fin ne justifie jamais les moyens) n’a pas d’autre choix que d’adopter une posture nommée désobéissance civile.

A la suite de Nietzsche, qui considère l’Etat comme « le plus froid de tous les monstres froids », Alain Badiou déclare dans cet entretien :

Tout État possède une dimension criminelle intrinsèque. Parce que tout État est un mélange de violence et d’inertie conservatrice. […] L’État est une entité qui n’a d’autre idée que de persévérer dans son être, comme dirait Spinoza.

Badiou évoque ici la fameuse raison d’Etat, valeur suprême qui justifie d’outrepasser les règles démocratiques, c’est-à-dire d’ignorer la volonté du peuple. Comme cette raison d’Etat est pratique, elle est invoquée par tous les dirigeants, qu’ils aient été élus au cours d’un scrutin dit démocratique, ou pris le pouvoir par les armes ou qu’ils l’aient encore hérité de naissance. Ce qui fait qu’à l’échelle mondiale, on constate que la volonté des peuples ne s’exprime jamais, mais que celle des nations et de leurs gouvernements ne cesse de se renforcer.

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Assimilation, intégration, multiculturalisme… et pluralité

Il suffit de prononcer l’un de ces trois mots pour attirer a minima des regards soupçonneux, si ce n’est l’ire épidermique des colporteurs de la bien-pensance rampante. Assimilation, intégration, et pourquoi pas identité nationale, aussi ? De là à être traité de raciste, de fasciste, voire de nazi… mais quelle mouche me pique, d’ouvrir la boîte de Pandore ?

Pandora, John William Waterhouse
« Do not open » : on aurait mieux fait de fermer à clé ! (Pandora, John William Waterhouse)

Toujours pour la même raison : s’il y a des crétins congénitaux qui font mainmise sur des sujets sérieux et cruciaux en prenant en otage les termes du débat, et que d’autres se font leurs alliés, par paresse ou faiblesse, en n’osant plus prononcer ces mots ni respecter l’exigence démocratique du débat d’idées (puisqu’ils se contentent de prendre un air dégoûté et de se boucher le nez), il faut bien qu’il y en ait un qui se fasse tabasser entre le marteau et l’enclume. Bam ! C’est tombé sur moi ! (oh, je n’ai pas de mérite, j’adore ça !)

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Altérité et pluralité

De ces hommes de jadis, d’ailleurs ou de demain, nous ne savons peut-être rien, mais nous savons au moins que ce sont des hommes comme nous, prisonniers d’un discours et d’un dispositif, et libres à moitié ; ce sont nos frères. Être curieux d’autrui, ne pas le juger, ce n’est pas de l’humanisme, ça ? Vous préféreriez plus de dogmatisme édifiant ?

– Paul Veyne, Foucault, sa pensée, sa personne

Ainsi se résume, selon Paul Veyne, l’humanisme de Foucault. Humanisme a minima, peut-être, mais humanisme amplement suffisant – nécessaire et suffisant : reconnaître chez l’autre un semblable, un frère certes différent mais pourtant contraint à la même condition humaine (subjectivité et sociabilité), et de cette différence, n’en faire ni une condamnation ni un ennemi, mais au contraire une richesse réciproque qu’il faut être avide de partager.

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Liberté selon Arendt

Selon Hannah Arendt, la chose est entendue : la liberté, c’est la politique (et inversement). Elle écrit précisément :

Le sens de la politique est la liberté.

– Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ? (éditions Seuil)

Ce faisant, Arendt opère un renversement par rapport à la tradition philosophique qui définit, depuis Platon ou Parménide selon elle, la politique comme « un moyen en vue d’une fin supérieure ». Elle résume ainsi ce postulat trompeur :

La politique, à ce qu’on dit, est une nécessité absolue pour la vie humaine, aussi bien pour la vie de l’individu que pour celle de la société. […] La tâche et la fin de la politique sont de garantir la sécurité de la vie au sens le plus large. Elle permet à l’individu d’atteindre ses fins dans le calme et la paix, c’est-à-dire sans être importuné par la politique – peu importe les sphères de la vie dont relèvent ces fins que la politique doit garantir, qu’il s’agisse au sens antique de permettre à un petit nombre de s’adonner à la philosophie, ou qu’il s’agisse au sens moderne de garantir au grand nombre la vie, un gagne-pain et un bonheur minimal. C’est parce que […] cette vie en commun réunit des hommes et non des anges que le souci de l’existence suppose un Etat qui détienne le monopole de la violence et qui empêche la guerre de tous contre tous.

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Empowerment citoyen

Dans un sondage récent (Ifop/Atlantico, visible ici), 67% des Français sondés seraient « d’accord » pour confier la direction du pays à « des experts non élus » qui seraient à même de réaliser des « réformes nécessaires mais impopulaires » :

Sondage Ifop/Atlantico - experts
Un gouvernement d’experts non élus ? (Sondage Ifop/Atlantico)

Ils seraient 40% à être « d’accord » pour confier ce même gouvernement à un « pouvoir politique autoritaire, quitte à alléger les mécanismes de contrôle démocratique s’exerçant sur le gouvernement » :

Sondage Ifop/Atlantico - autoritaire
Un gouvernement autoritaire ? (Sondage Ifop/Atlantico)

 

Christophe De Voogd commente, dans le même article, ces résultats :

Peut-être alors y a-t-il dans ce sondage une sorte d’aveu implicite de la population, qui constate les blocages catégoriels et ses propres exigences contradictoires et l’impasse où cela conduit le pays. D’où l’envie plus ou moins forte, plus ou moins consciente, de se délester du fardeau sur les experts ou l’homme providentiel. Une sorte de « démission démocratique » qu’avait déjà diagnostiquée, pour une fois d’accord, aussi bien Rousseau que Tocqueville.

Vincent Tournier ajoute :

C’est un résultat surprenant car, en général, les électeurs n’aiment pas l’idée d’un gouvernement technocratique : c’est d’ailleurs ce qu’ils reprochent à l’Europe, voire aux élites françaises (le pouvoir des énarques, la fameuse « énarchie »). […]

D’autres enquêtes ont déjà montré qu’il y a, dans l’opinion, une demande d’autorité, notamment dans les milieux populaires. Cette enquête confirme donc qu’il existe un profond malaise. Les gens sont désarçonnés par les évolutions auxquelles ils assistent. Ils ont le sentiment d’avoir de moins en moins de prise sur le pouvoir politique. C’est la conséquence de ce que les spécialistes ont appelé la « gouvernance ». Ce terme désigne le fait que les mécanismes de décision suivent aujourd’hui un cheminement  plus complexe que dans le passé. […]

Le problème est que, dans ce nouveau mécano, l’électeur est perdu, ce qui est logique. Qui peut prétendre avoir compris le fonctionnement de l’Union européenne ? Qui s’y retrouve dans la décentralisation en France, avec sa ribambelle de réformes toutes plus complexes les unes que les autres ? Plus grave encore : dans le système politique actuel, qui devient responsable des décisions ? Qui faut-il blâmer lorsqu’on est mécontent de sa situation ?

 

Face à cette « démission démocratique » engendrée notamment par la complexité croissante de la « gouvernance », ce n’est ni le collège d’experts, ni le dictateur éclairé, qui constituent deux penchants de la démission démocratique et citoyenne, qui pourraient nous sortir de l’ornière.

C’est au contraire l’empowerment citoyen qui constituerait, selon moi, une solution : cet empowerment est une somme de moyens par lesquels les citoyens pourraient se réapproprier la connaissance, la compréhension, la responsabilité, le pouvoir et la capacité à gouverner.

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Responsabilité

L’idée […] de la responsabilité individuelle pour tout ce qui se passe autour de nous, est que chacun doit répondre de tout devant tous…

– Tarkovski

Tarkovski n’invente rien, il est le passeur d’une longue tradition philosophique de la responsabilité humaine. Kant avant lui a dit la même chose, et Sartre l’a dit à nouveau, dans L’Etre et le Néant :

L’homme étant condamné à être libre, porte le poids du monde tout entier sur ses épaules ; il est responsable du monde et de lui-même.

C’est un bon préambule contre tous ceux qui voudraient nous soumettre à telle ou telle « loi » naturelle ou divine : il n’y a pas de transcendance que l’homme ne décide lui-même de s’appliquer. C’est, in fine, à l’homme que revient le choix de croire ou pas en un dieu quelconque, ou en lui-même seulement. Pour un existentialiste subjectif (pléonasme) comme moi, la responsabilité est la grande chance qui est offerte à l’homme, face à toutes les excuses, les victimisations et les institutions nourricières, qui, loin de représenter des marques d’altruisme ou d’humanisme, sont au contraire anti-humaines et liberticides.

La responsabilité, et la prise de responsabilité, est aussi un guide qui nous mène vers l’amélioration : si c’est à nous que nous devons le monde d’aujourd’hui, et plus encore celui de demain, alors les erreurs du passé doivent être prises comme des avertissements et des enseignements pour notre devenir.

Mais une telle responsabilité n’est pas gratuite ; elle n’est pas innée. Cette responsabilité s’acquiert, et il faut devenir homme pour l’acquérir – ou plutôt, on ne devient homme qu’en l’ayant acquise. Elle n’est pas naturelle, bien qu’elle soit à la portée de notre espèce. C’est toute la question du cheminement vers la responsabilité qui contribue à faire l’homme libre.

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Mai 68 : héritages en floraison

Il faut, dit-on, « liquider l’héritage de mai 68 ». Encore faudrait-il savoir de quoi il retourne : que furent les événements de 68, quelles idées ont-elles été portées, qu’est devenue la « génération 68 », et enfin, au-delà des slogans et des caricatures, quelles leçons tirer de mai 68 ?

cohn-bendit mai-68
Bien avant NTM, Dany-le-Rouge te fait la nique !

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Astonishing playfields – un monde rêvé

Si l’on veut considérer le monde rêvé comme un terrain de jeu subjuguant, ou comme notre jardin merveilleux, un lieu de découvertes surprenant, ce n’est pas en se l’appropriant ou en le niant égoïstement que l’on peut y parvenir. Ce n’est pas non plus un retour à la nature, un primitivisme, ou une soumission à des supposées lois du vivant, autant de façons de redevenir animal à défaut d’avoir su être humain, qui feront de notre planète un lieu hospitalier.

Si la planète peut et doit être un monde ouvert, il doit l’être pour tous, c’est-à-dire à la fois que son potentiel d’aventure (de choix de vie et de modes d’existence) doit être le même pour l’ensemble des humains, mais aussi que ce terrain de jeu doit profiter à tous (la capacité d’édiction des règles doit devenir un subtil équilibre universellement partagé).

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La quête de sens

J’en étais à ce point précis où se dessine le choix crucial d’une vie. Ayant pris conscience de ma mortalité, je pouvais continuer à vivre comme une bête ou devenir un homme.

Voici comment je conçois la quête de sens.

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Transcendance alcoolisée

La transcendance alcoolisée, ce sentiment de dépassement et de perte de soi dans le groupe tout en plongeant en soi, une fusion avec les autres et le monde, pas une communion aseptisée, mais le bruit et la fureur.

Les princes de la cuite, les seigneurs, ceux avec qui tu buvais le coup dans le temps, mais qui ont toujours fait verre à part. Dis-toi bien que tes clients et toi ils vous laissent à vos putasseries, les seigneurs ; ils sont à cent mille verres de vous. Eux, ils tutoient les anges. […] Vous avez le vin petit et la cuite mesquine ; dans le fond, vous ne méritez pas de boire.

– Gabin, dans Un singe en hiver (Henri Verneuil)

Un singe en hiver
Singeries ou célébrations tribales ?

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