Positionnement par rapport au travail universitaire

Ceux qui parviennent au statut d’enseignant universitaire n’imaginent même pas qu’une évolution politique puisse avoir le moindre effet sur leur carrière ; ils se sentent absolument intouchables.

– Houellebecq, Soumission

Cette phrase est représentative de la qualité de la production de Houellebecq : elle ne dit pas grand chose, ou elle en dit énormément. Le lecteur doit faire le boulot, car Michel est déjà passé à autre chose. En lisant en écrivant, suivons donc une devise de Gracq !

Sûrement ont-ils raison, ces universitaires parvenus, de ne trop rien craindre. A moins que cette évolution politique ne soit d’une ampleur telle qu’elle mette fin à l’Etat de droit républicain, mais même dans ce cas, ce n’est pas la carrière de l’universitaire qui serait remise en cause (on lui demanderait quelques ajustements, on supprimerait des bibliothèques certains ouvrages…). C’est sur un plan privé que les véritables changements auraient lieu : il ne faudrait pas avoir la « mauvaise » couleur de peau ou la « mauvaise » religion… Car même les nazis, grands brûleurs de livres, n’ont pas eu à l’égard du milieu universitaire d’attitude si belliqueuse. Dans leurs « 12 propositions contre l’esprit non-allemand », ils demandèrent « simplement » une nouvelle discipline ; extraits :

6. Nous voulons éradiquer le mensonge, nous voulons marquer la trahison au fer rouge, nous voulons que les étudiants se trouvent non pas dans un état d’ignorance, mais de culture et de conscience politique.

8. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à apprendre et à faire des choix de façon autonome. [une autonomie bornée, donc…]

10. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à triompher de l’intellectualisme juif et de ses chimères libérales sur la scène intellectuelle allemande.

11. Nous exigeons que les étudiants et les professeurs soient sélectionnés en fonction des garanties qu’ils présentent de ne pas mettre en danger l’esprit allemand.

12. Nous exigeons que les facultés soient le sanctuaire de l’identité allemande et le lieu d’où partira l’offensive de l’esprit allemand dans toute sa puissance.

On le constate, l’universitaire, même au sein d’idéologies totalitaires (et peut-être surtout en leur sein) dispose de rôles considérables à jouer. Celui de gardien du sanctuaire d’abord. Évocation du sacré de la nation (« l’esprit allemand »), ou nationalisme, qui est donc bien une religion parmi d’autres. Mais aussi celui du conquérant : car toute idéologie a besoin de prosélytes lettrés capables de défendre et justifier doctement ce qui ne relève, in fine, que de la croyance subjective – et de supplanter d’autres pensées ou croyances (« l’intellectualisme juif et ses chimères libérales », dans le cas nazi).

Mais quel universitaire d’aujourd’hui ne s’exclamerait : « c’est de l’idéologie nazie ! Et mon travail est scientifique : j’observe le réel d’un œil rationnel et désintéressé. La notion même d’idéologie est néfaste, non-scientifique, abandonnée, non-sérieuse : c’est du passé! »

Pourtant il faut bien se la poser, cette question de l’idéologie ! D’une part pour confronter l’objectivisme, et d’autre part pour être capable de reconquérir le sens de l’Histoire.

Enseignement et transmission

Abordons d’abord le thème de l’enseignement et de la transmission, puisque c’est le rôle primordial que confère le régime nazi à l’université : former la jeunesse à adopter « l’esprit allemand ». Si la forme est grossière et caricaturale, cet exemple présente l’avantage d’offrir une totale transparence dans ses objectifs et moyens. Le nazisme assume frontalement son projet, sans fards : ce que d’autres régimes ont tendance à vouloir masquer, le nazisme l’affirme avec autorité et sans-gêne : oui, nous allons formater la jeunesse par une propagande explicite ; oui, nous allons mettre au pilori des ouvrages jugés « non-allemands » et vilipender leurs auteurs.

En cela, la doctrine nazie assume pleinement le fait qu’un régime ne peut se maintenir que s’il conditionne suffisamment ses membres (pour qu’ils adhèrent à son idéologie), et n’en fait pas mystère. La supériorité n’est pas qu’une affaire militaire ; c’est aussi une affaire de discours – de soft power et de puissance économique.

Le projet nazi s’oriente donc naturellement vers les étudiants, la jeunesse, et pose l’universitaire dans des rôles sociaux et idéologiques puissants, subordonnés au pouvoir temporel.

Infamie de la dictature totalitaire ! Pas si vite… Car comment concilier indépendance de l’enseignement et uniformité sociale – dont le pouvoir temporel décrète la forme (en vertu de la légitimité démocratique qui lui est conférée) et qu’il requiert afin de maintenir une société homogène ?

La réponse contemporaine est multiple et divergente. Car en ne voulant pas admettre l’endoctrinement – qu’elle pratique pourtant, la société démocratique se perd en palabres et en déclarations de fausses libertés. Ainsi, par exemple, le rôle que peut se donner un professeur de philosophie – l’inutilité – face à ce qui serait un enseignement anti-social, ayant pour objectif premier de faire remettre en cause le présent, donc la société actuelle, par la jeunesse, qui contribuerait à saper toute idée « d’esprit » national permanent, mais qui exigerait en même temps la construction d’une nouvelle idéologie. Car même en combattant une idéologie uniquement par sa réfutation, on établit en creux une alternative, c’est-à-dire une autre idéologie. Il est nuisible et hypocrite de se déclarer libre de toute idéologie lorsque l’on prend des positions contre une idéologie (quelle qu’elle soit). Max Weber écrit, dans Le Savant et le Politique :

On dit, et j’y souscris, que la politique n’a pas sa place dans la salle de cours d’une université. La politique n’a pas non plus sa place du côté des enseignants. Et tout particulièrement lorsqu’ils traitent scientifiquement les problèmes politiques. Moins que jamais alors, elle n’y a sa place. En effet, prendre une position politique pratique est une chose, analyser scientifiquement des structures politiques et des doctrines de partis en est une autre. Lorsqu’au cours d’une réunion publique, on parle de démocratie, on ne fait pas un secret de la position personnelle que l’on prend, et même la nécessité de prendre parti de façon claire s’impose alors comme un devoir maudit. Les mots qu’on utilise en cette occasion ne sont plus les moyens d’une analyse scientifique, mais ils constituent un appel politique en vue de solliciter des prises de position chez les autres. Ils ne sont plus des socs de charrue pour ameublir l’immense champ de la pensée contemplative, mais des glaives pour attaquer des adversaires, bref des moyens de combat. Ce serait une vilenie que d’employer ainsi les mots dans une salle de cours.

Ça, le monde universitaire l’a très bien compris : et c’est pourquoi plus personne ne parle d’idéologie. L’aspect non-sérieux et non-scientifique de ce concept y fait consensus.

Pourtant, la jeunesse cherche des maîtres-à-penser (et ne les trouve pas, ou plus, car ils ont fait vœu de silence, de « discrétion »), aujourd’hui comme au temps de Max Weber, qui écrit, au début du XXe siècle :

La tâche primordiale d’un professeur capable est d’apprendre à ses élèves à reconnaître qu’il y a des faits inconfortables, j’entends par là des faits qui sont désagréables à l’opinion personnelle d’un individu ; en effet il existe des faits extrêmement désagréables pour chaque opinion, y compris la mienne. Je crois qu’un professeur qui oblige ses élèves à s’habituer à ce genre de choses accomplit plus qu’une œuvre purement intellectuelle, je n’hésite pas à prononcer le mot d’« œuvre morale », bien que cette expression puisse peut-être paraître trop pathétique pour, désigner une évidence aussi banale. […]

L’erreur que commet une partie de notre jeunesse quand elle répond à tout ce que nous venons de dire par cette réplique : « Soit ! Mais si nous assistons à vos cours, c’est pour entendre autre chose que des analyses et des déterminations de faits », l’erreur qu’elle commet en ce cas consiste à chercher dans le professeur autre chose qu’un maître face à ses élèves : elle espère trouver un chef et non un professeur.

 

Instrumentalisation politique : résignation et désir

Alors donc, suppression de l’idéologie et du militantisme associé dans le monde universitaire ? Admettons. Cela implique que le savoir produit et enseigné se borne à des études objectives et des raisonnements purement rationnels, d’où ne sauraient émaner la moindre considération d’ensemble (vision globale, critique générale, alternative potentielle) qui outrepasserait le cadre scientifique auquel s’est volontairement astreint le milieu de la recherche. Nous sommes face à un savoir neutre et froid.

Mais ce savoir est produit au sein d’universités dont les budgets sont alloués par l’Etat et éventuellement par des sociétés privées, à des degrés divers selon les pays que l’on considère. Les enseignants-chercheurs, salariés, voire fonctionnaires, doivent rendre des comptes à leur direction, qu’elle soit privée ou publique. Une relation de loyauté s’instaure, accompagnée d’objectifs concrets.

Les universités se livrent notamment à une concurrence importante de classement au niveau national, mais aussi, et surtout, mondial. Même si, là encore, une hypocrisie de fond déclame que les classements ne sont pas importants, tout le monde s’y jauge. A l’échelle nationale, des classements implicites existent aussi : mieux vaut étudier la finance là, la littérature ici, ou encore la philosophie par là. En France, la particularité concerne l’existence des « grandes écoles », là où la plupart des pays n’ont que des universités. Mais cela revient finalement au même : on aboutit toujours à des classements, de la notoriété (pour les établissements et leurs membres dirigeants et enseignants) et des perspectives de carrière pour les étudiants.

De fait, le monde universitaire est conditionné par cette compétition :

La politique de regroupement des universités françaises en vastes pôles vise largement à les faire exister sur la scène mondiale et à les faire apparaître dans les radars des classements, celui de Shanghaï en tête. Dans une enquête présentée en janvier, l’Association européenne des universités (AEU) avait montré que parmi 171 établissements dans 39 pays, 86 % reconnaissaient surveiller les classements de très près, et ce, au plus haut niveau. Sept sur dix utilisent les classements pour prendre des décisions et 80 % en font un argument de vente pour séduire chercheurs et étudiants prometteurs. […]

« La plupart des enquêtes montrent que les étudiants nationaux de premier cycle ne sont pas influencés par les classements, reconnaît la spécialiste Ellen Hazelkorn, directrice de l’Unité de recherche sur les politiques d’enseignement supérieur à l’Institut de technologie de Dublin. Mais les meilleurs d’entre eux, surtout s’ils sont issus d’un milieu favorisé, font exception. De même, les étudiants étrangers, quel que soit leur niveau, sont les plus susceptibles d’être influencés par les classements. »

Par ailleurs, précise Mme Hazelkorn, auteure de Les classements et la refonte de l’enseignement supérieur (Palgrave Macmillan, rééd. mars 2015, non traduit), « il est vrai que les étudiants qui suivent des études de gestion, d’ingénierie ou de médecine s’intéressent davantage aux classements que ceux qui se consacrent aux arts et aux humanités ».

Et précisément parce que les arts et les humanités présentent un intérêt économique moindre et ne peuvent aisément obtenir de partenariats de financement avec le secteur privé, ces disciplines subissent une baisse des crédits de plus en plus importante. Au Japon, on n’hésite pas à trancher dans le vif :

Vingt-six universités japonaises ont annoncé vouloir fermer leurs facultés de sciences humaines et sociales, ou du moins diminuer leur activité. Une décision qui fait suite à une lettre que le ministre de l’éducation, Hakubun Shimomura, a adressée le 8 juin aux présidents des 86 universités du pays, leur demandant « d’abolir ou de convertir ces départements pour favoriser des disciplines qui servent mieux les besoins de la société ».

Donc, se ranger ou mourir ; s’astreindre à la discipline, répondre aux commandes du pouvoir temporel et aux exigences économiques présentes (ce qui revient au même). En refusant l’idéologie, l’universitaire s’est placé dans une posture de complète subordination. Sartre écrit, dans Qu’est-ce que la littérature ? :

Lorsque Flaubert déclare […] qu’il « appelle bourgeois tout ce qui pense bassement », il définit le bourgeois en termes psychologiques et idéalistes [… par conséquent:] on peut dépouiller le bourgeois en soi-même par une simple discipline intérieure : si seulement ils s’exercent dans le privé à penser noblement, ils peuvent continuer à jouir, la conscience en paix, de leurs biens et de leurs prérogatives ; ils habitent encore bourgeoisement, jouissent encore bourgeoisement de leurs revenus et fréquentent les salons bourgeois, mais tout cela n’est qu’une apparence, ils se sont élevés au-dessus de leur espèce par la noblesse de leurs sentiments.

Voilà quel serait donc le sort que se sont réservés nos universitaires contemporains : ils ont rejoint le giron et le mode de vie bourgeois et soutiennent à la fois les gouvernements et l’idéologie bourgeoise. Pour revenir à Houellebecq, ce serait le sens de « ils se sentent absolument intouchables ». Intouchables, car ne touchant à rien ! Sartre, encore :

Puisqu’on abandonne au bourgeois le gouvernement des hommes et des biens, le spirituel se sépare à nouveau du temporel, on voit renaître une sorte de cléricature.

La cléricature, c’est l’entre soi des clercs (le clergé qui écrivait pour le clergé) : on écrit dans son monde, selon les règles et normes de son monde, pour être compris par ceux qui peuvent comprendre, les professionnels du savoir. On enseigne a minima, car c’est une tâche jugée de plus en plus ingrate, que d’inculquer à des bataillons de jeunes imbéciles, toujours plus nombreux sur les bancs des facultés (un autre souhait politico-économique) une partie de la science qu’ils oublieront bien vite une fois insérés dans le monde professionnel. Seuls peuvent présenter quelque intérêt les étudiants-doctorants qui seront à leur tour chercheurs, reproducteurs d’un savoir en vase clos, résignés.

Occupés à des querelles de chapelles intellectuelles qui n’apportent rien, soumis aux lois de la publication académique, aux querelles d’ego et à la course à la titularisation (pour les nouveaux entrants), les cherchenseignants (enseignants-chercheurs) et les etudocthésards (étudiants-doctorants-thésards) font face au problème de toute organisation « professionnelle ». Ils s’aigrissent et se renfrognent. A quelle générosité fortuite peuvent néanmoins se livrer les universitaires, en voici un extrait :

S. Saurugger a préféré la générosité du livre en langue française pour les étudiants, probablement parce qu’elle n’a pas le réflexe narcissique de compter chaque matin ses propres références sur « Google Scholar »

– Christian Lequesne, directeur du Centre d’études et de recherches internationales (CERI, Sciences Po/CNRS) et directeur de la publication de Critique internationale

Oh ! La grandeur d’âme ! Un ouvrage en langue française ! Pssst… une encore plus grande générosité eut été la gratuité d’accès et la dématérialisation !

En abandonnant l’idéologie, l’universitaire a abandonné sa relation universelle, libre et généreuse au monde, s’est retranché dans son laboratoire, s’est exclu du devoir d’enseigner et s’est fait l’allié et le serviteur du pouvoir temporel.

Ainsi, il n’œuvre plus à penser pour un autre demain possible, mais pour faire advenir le demain politiquement souhaité aujourd’hui.

Il y trouve son compte dans l’obtention et la jouissance du confort bourgeois. Et après tout, son travail reste celui d’un intellectuel – rien n’a au fond changé pour lui : définitivement, l’évolution politique n’a pas le moindre effet sur sa carrière.

 

Hyperspécialisation et révolte

D’où vient que l’expert et l’universitaire se sont peu à peu confondus ?

C’est une exigence d’objectivité de la part du professeur que Max Weber, dans Le Savant et le Politique, illustre tout d’abord en déclarant que :

La science est de nos jours une « vocation » fondée sur la spécialisation au service de la prise de conscience de nous-mêmes et de la connaissance des rapports objectifs.

Il entend par là que la science doit servir à éclairer les hommes (« contribuer à une œuvre de clarté », écrit Weber) afin qu’ils puissent agir de manière responsable. Et elle doit se borner à cette tâche sans outrepasser ses prérogatives :

Lorsqu’un professeur obtient ce résultat je suis alors enclin à dire qu’il est au service de puissances « morales », à savoir le devoir de faire naître en l’âme des autres la clarté et le sens de la responsabilité. Je crois qu’il lui sera d’autant plus facile d’accomplir cette œuvre qu’il évitera par scrupule d’imposer ou de suggérer personnellement à ses auditeurs une conviction.

Ce faisant, Max Weber établit une distinction très nette entre le savant (scientifique, expert) et le politique. C’est à partir de cette division des tâches que peut se fonder un processus de démocratisation du savoir : le passage de l’expertise à la citoyenneté éclairée.

Il semble d’ailleurs que l’Américain ne prête aucunement un rôle politique à l’enseignant, mais dispose de lui en tant que professionnel du savoir, dans le cadre d’une relation commerciale ; Max Weber écrit :

Le jeune Américain ne respecte rien ni personne, ni tradition ni situation professionnelle, mais il s’incline devant la prouesse personnelle d’un quelconque individu. Cela, il l’appelle « démocratie ». Aussi caricaturale que puisse paraître la réalité américaine lorsqu’on la compare à la signification vraie du mot démocratie, c’est ce sens qu’il lui donne et cela seul est important pour le moment. Il se fait de son professeur une idée simple : celui-ci lui vend des connaissances et des méthodes pour l’argent de son père, exactement comme la marchande de légumes vend des choux à sa mère. Rien d’autre.

Il ne viendrait jamais à l’idée du jeune Américain que son professeur pourrait lui vendre des « conceptions du monde » ou des règles valables pour la conduite de la vie.

 

Barbara Saden, dans son mémoire, écrit :

Aux États-Unis l’expertise est une tradition: la fin du XIXe siècle voit la création des principales universités notamment sur la côte Est qui formait alors le centre de la vie intellectuelle. Dès la fin du XIXe siècle, la professionnalisation des universitaires américains s’amorce et se poursuit tout au long du XXe siècle.

Le succès des sciences sociales aux dépens de la littérature et de la philosophie est l’une des causes de ce mouvement. Marie-Cécile Naves [La fin des néoconservateurs ?, éditions Ellipses] souligne que « l’émergence puis le succès des sciences sociales ont mis à mal le primat de la culture humaniste, au profit d’un savoir pratique et politique« .

« Le renouvellement générationnel dans le contexte de la Guerre froide, des intellectuels de centre gauche américains –  les liberal intellectuals – a été déterminant pour imposer un nouveau modèle de l’intellectuel public américain, celui de l’expert ».

Ainsi, comme les Japonais l’ont récemment décrété (voir plus haut) en remplaçant les sciences humaines par des savoirs technologiques plus « utiles » à la société, les Américains ont privilégié, via la professionnalisation des universitaires dès la fin du XIXe siècle, l’expertise en sciences sociales grâce à son potentiel utilitariste. Ces sciences ont alors pu se mettre au service de l’Etat (« savoir politique ») et des sociétés privées (« savoir pratique ») et en obtenir des subsides importants. Cet utilitarisme, Sartre, dans Qu’est-ce que la littérature ?, le caractérise comme suit :

La fin est sous-entendue, on ne la regarde jamais en face, on la passe sous silence ; le but et la dignité d’une vie humaine c’est de se consumer dans l’agencement des moyens.

Un agencement de moyens sans finalité explicitement admise : ce que ces « liberal intellectuals » ont inauguré là, je le nomme libéralisme aveugle.

Ils ne donnent jamais leur avis directement et clairement : ils utilisent toutes les circonlocutions possibles, font semblant de faire un état des lieux objectif alors qu’ils ont en réalité leurs idées et leurs convictions en tête. C’est ce qui ressort de toute manière de leur travail : on ne peut se cacher indéfiniment. Le problème, c’est qu’il faut avoir une lecture toujours suspicieuse, interrogative, alors qu’il serait tellement plus efficace d’engager sa parole de citoyen dès le départ.

En outre, ils ne formulent jamais de proposition globale, ne font pas de prospective hors des sentiers battus de la projection plausible d’aujourd’hui à demain – la continuation des choses comme elles sont, selon ce que les tendances actuelles laissent présager.

De nombreux universitaires pensent devoir changer de posture, et notamment ne plus être subordonné au pouvoir temporel – sous peine de garnir les rangs des experts-oracles qui ne font que conforter le politique dans ses certitudes. Ils se disent que la moindre des choses, avec tout le savoir et la connaissance qu’ils ont acquis et produits, serait de se jeter dans l’arène, de prendre des risques, de ne pas avoir peur du ridicule, qui ne tue pas, tandis que la couardise peut être criminelle !

 

Redevenir militant, à la télé, au spectacle

Revenir au militantisme dans son travail quotidien est impossible, car ce travail ne pourrait alors plus être considéré comme du domaine de la recherche (selon les canons actuels). Max Weber le précise déjà :

Le professeur qui se sent la vocation de conseiller la jeunesse et qui jouit de sa confiance doit s’acquitter de ce rôle dans le contact personnel d’homme à homme. S’il se sent appelé à participer aux luttes entre les conceptions du monde et les opinions des partis, il lui est loisible de le faire hors de la salle de cours, sur la place publique, c’est-à-dire dans la presse, dans les réunions publiques, dans les associations, bref partout où il le voudra.

C’est pourquoi on voit de plus en plus d’universitaires commercialiser des ouvrages « pour le grand public », qui sont un vague dérivé de leur expertise, ou qui n’ont même aucun rapport avec leur domaine d’expertise. Ils se servent simplement de leur aura d’universitaire pour établir leur légitimité intellectuelle sur tout domaine. A la fin de sa vie, dans les années 1990 :

Bourdieu critique désormais la tour d’ivoire dans laquelle s’enferment les chercheurs voués au scholarship pour faire place à une sorte d’engagement de la part du sociologue réflexif. Cet engagement politique est chez lui légitimé par une œuvre immense qui a démystifié scientifiquement les impostures intellectuelles des bateleurs médiatiques. […]

Avant tout, il réclame maintenant une « gauche de gauche », dans une fin de siècle où le « grand intellectuel » a disparu, pour le meilleur et pour le pire, et où les étiquettes des hommes politiques ne signifient plus grand-chose.

Quel rapport de légitimité peut-on trouver entre un travail universitaire froid, « scientifique », relatif aux « impostures des bateleurs médiatiques » (les fast-thinkers, pour reprendre le terme de Bourdieu), un engagement tout aussi médiatique pour la réclamation d’une « gauche de gauche » et l’énoncé que le politique utiliserait des étiquettes sans signification ? Aucun !

L’universitaire se permet de faire irruption sur une scène médiatique qui l’accueille à bras ouverts parce qu’il offre de combler le vide de pensée consécutif à la disparition du « grand intellectuel ». Est-il pour autant à sa place, soudainement octroyée ? Il faut en douter. Car connaissant son passif de subordonné, que pourrait-il apporter de neuf ou de différent, qui ne soit pas une autre manière de conserver l’ordre établi dont il a bénéficié de longues années – et dont il continue de bénéficier ?

Les médias ont besoin de « bons clients » pour animer leurs plateaux, de rock stars, de grandes gueules… Vous êtes universitaire, vous avez sorti un livre récemment, vous faites polémique, vous présentez bien ? Vous aimez les déclarations à l’emporte-pièce, vous maniez l’insulte facile des arguments ad hominem ? Vous êtes emporté et passionné par le fait d’avoir toujours raison ? Votre CV nous intéresse. (toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite…)

Max Weber, dans Le savant et le politique, constate déjà ce mouvement préoccupant au début du XXe siècle :

Dans le monde de la science, il est absolument impossible de considérer comme une « personnalité » un individu qui n’est que l’impresario de la cause à laquelle il devrait se dévouer, qui se produit sur la scène du monde avec l’espoir de se justifier par une « expérience vécue » et qui ne se pose que ces seules questions : « Comment pourrais-je prouver que je suis autre chose qu’un simple spécialiste ? Comment pourrais-je m’y prendre pour affirmer, dans la forme et dans le fond, une chose que personne n’a encore dite ? »

Il s’agit là d’un phénomène qui prend de nos jours des proportions démesurées encore qu’il ne donne que de bien piètres résultats, sans compter qu’il diminue celui qui se pose ce genre de questions. Par contre celui qui met tout son cœur à l’ouvrage, et rien qu’à cela, s’élève à la hauteur et à la dignité de la cause qu’il veut servir. Le problème se pose exactement de la même façon pour l’artiste.

Aujourd’hui, non seulement les médias de masse raffolent de ce genre de « personnalités », mais cette forme de communication, parce qu’elle est spectaculaire et ludique, donc populaire, devient aussi l’apanage de mouvements alternatifs, tels que la « Coopérative d’éducation populaire » Le Pavé. Cette SCOP propose même une formation de « conférencier-gesticulant ». Le problème de ce genre d’initiatives n’est pas issu de l’intérêt de diffuser des témoignages d’expériences vécues, qui disposent d’un intérêt évident. Mais cette forme de communication politico-scientifico-théâtrale brouille les pistes et contribue à substituer, aux yeux du grand public, au savoir objectif et rigoureux de l’universitaire spécialisé, ce qu’il faut appeler une forme de propagande politique spectaculaire – car le conférencier ne se considère pas comme un artiste, un troubadour, mais comme un transmetteur de savoir – ils parlent « d’université populaire ». Or, ce savoir est volontairement subjectif, donc partisan. On retrouve ce genre de procédé chez Alain Soral (qui vient du monde du spectacle), ou encore, bien qu’il se désigne comme humoriste (mais n’est-il que ça ?), chez Dieudonné.

Il faut donc à tout prix éviter cette confusion. Comme l’écrit Max Weber :

L’erreur que commet une partie de notre jeunesse quand elle répond à tout ce que nous venons de dire par cette réplique : « Soit ! Mais si nous assistons à vos cours, c’est pour entendre autre chose que des analyses et des déterminations de faits », l’erreur qu’elle commet en ce cas consiste à chercher dans le professeur autre chose qu’un maître face à ses élèves : elle espère trouver un chef et non un professeur.

 

Changement de posture explicite contre camouflage idéologique

Le monde de la recherche s’étant hyperspécialisé, il n’y est pas toujours bien perçu de prétendre à un certain niveau de généralisation, lequel implique une forme de simplification et de réduction.

Christophe Guilluy outrepasse ainsi le cadre de sa profession au sein d’un ouvrage de vulgarisation. Comme Julia Kristeva le dit à propos de Todd, par exemple :

Je ne suis pas démographe et je n’aimerais pas l’être si je devais analyser une matière si complexe que la croyance religieuse.

Trop de sachants professionnels souhaitent, à partir de leur expertise disciplinaire uniquement, produire des recommandations et des vérités, alors qu’ils étudient au microscope un sujet précis, et pensent pouvoir le faire grandir à la taille d’un pays entier, voire du monde et de sa diversité.

L’universitaire devrait convenir qu’il se cantonne à des limites bien étroites, et que son domaine d’expertise ne saurait pouvoir être étendu à une véritable pensée en rupture. Max Weber illustre d’ailleurs parfaitement, dans Le savant et le politique, l’utilité de l’expertise et de la spécialisation pour la recherche scientifique :

La science est parvenue à un stade de spécialisation qu’elle ne connaissait pas autrefois et dans lequel elle se maintiendra à jamais, pour autant que nous puissions en juger. L’affaire ne tient pas tellement aux conditions extérieures du travail scientifique qu’aux dispositions intérieures du savant lui-même : car jamais plus un individu ne pourra acquérir la certitude d’accomplir quelque chose de vraiment parfait dans le domaine de la science sans une spécialisation rigoureuse.

C’est uniquement grâce à cette stricte spécialisation que le travailleur scientifique pourra un jour éprouver une fois, et sans doute jamais plus une seconde fois, la satisfaction de se dire : cette fois j’ai accompli quelque chose qui durera. De nos jours l’œuvre vraiment définitive et importante est toujours une œuvre de spécialiste.

Dans cette dernière phrase, Max Weber se situe dans le contexte de la recherche scientifique, et non, bien entendu, dans le cadre général de l’activité humaine.

Il ne faut donc pas dénier la capacité d’un universitaire à pouvoir exposer des thèses généralistes de manière fort intéressante, mais il faut dans ce cas qu’il abdique sa couronne, son magistère, son aura de scientifique, de docteur, de chercheur pour accepter de redevenir un homme de la rue, un citoyen actif et concerné parmi d’autres ; en d’autres termes, un honnête homme (comme les Lumières):

L’honnête homme est un généraliste, ce qui suppose une représentation unifiée du savoir. Il s’oppose ainsi au spécialiste (en grec, idiôtès: celui qui s’enfermant dans un savoir unique, devient stupide, idiot). […] Cette conception de l’honnête homme renvoie au principe de Montaigne voulant qu’il est préférable d’avoir « la tête bien faite que bien pleine ». Elle s’illustre également dans l’affirmation de Blaise Pascal selon laquelle « il est bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d’une chose. Cette universalité est la plus belle ».

A cette condition, l’universitaire reprend toute sa place de citoyen et retrouve de ce fait sa légitimité dans le débat public. Max Weber écrit :

Le prophète et le démagogue n’ont pas leur place dans une chaire universitaire. Il est dit au prophète aussi bien qu’au démagogue : « Va dans la rue et parle en public », ce qui veut dire là où l’on peut te critiquer. […]

Le professeur qui se sent la vocation de conseiller la jeunesse et qui jouit de sa confiance doit s’acquitter de ce rôle dans le contact personnel d’homme à homme. S’il se sent appelé à participer aux luttes entre les conceptions du monde et les opinions des partis, il lui est loisible de le faire hors de la salle de cours, sur la place publique, c’est-à-dire dans la presse, dans les réunions publiques, dans les associations, bref partout où il le voudra.

 

Mais ce n’est pas comme ça que les choses se passent. Les universitaires ont une idée importante, qu’ils continuent de traire et de rabâcher toute leur vie. Combien de fois ne lit-on pas : « ce livre est une parfaite synthèse des travaux précédents de l’auteur », ou encore « ce livre poursuit les études de l’auteur » ? Deux exemples de déception, parmi d’autres (sources ici et ) :

Mon secret espoir, avant d’entamer la lecture de ce livre, était d’y découvrir quelques nouvelles pistes de réflexion […] Mais hélas, le lecteur déjà familier […] n’y trouvera qu’une synthèse dans laquelle l’auteur développe les thèses qu’il a déjà élaborées depuis une dizaine d’années

Le second :

Mais c’est là que peut naître la déception, en tout cas la mienne. Car Daniel Cohen avait déjà produit une grande fresque […] qui contenait déjà en germe tout ce qui est dans ce nouvel opus. […] Reconnaissons à l’auteur une grande continuité dans sa pensée. Mais constatons qu[‘]il ne nous fait guère progresser: il nous fait refaire le même parcours […] et nous laisse au même point que dans son précédent ouvrage, avec le même degré d’incertitude.

Sont-ce les éditeurs qui en demandent toujours plus ? Comme les studios Hollywoodiens qui veulent faire la suite de la suite de la suite dès lors qu’une franchise continue d’attirer du monde dans les salles ?

Être l’homme d’un seul livre ? Ou l’homme d’une seule œuvre, en tout cas ? Ce qui signifie que cette œuvre est unique, indissociable. Ce en quoi le livre constitue une forme de barrière à la continuité des idées, à leur rectification, à leur agencement. Mais le temps n’est certainement plus aux « œuvres d’une vie » : pas assez rentables, ni universitairement (car il faut produire et publier des articles et améliorer sa renommée en tant que chercheur), ni économiquement : le livre est un objet de consommation.

En clair : ils ont dit ce qu’ils avaient à dire, mais s’immiscent continument dans le débat pour continuer d’exister. Ils sont contraints par les limites de leur discipline universitaire à reformuler sous tous les angles possibles la même idée centrale. Ils n’ont plus rien de neuf à apporter, plus rien à dire, mais il faut toujours qu’ils le disent pour occuper l’espace.

 

La chaîne de production des savoirs : articulation des données brutes à la décision politique

L’abandon de l’idéologie concourt à un renversement du processus de production : le politique finit par commander le savant – et non l’inverse, en des temps où l’intellectuel en imposait au politique par le truchement du peuple.

Je voudrais présenter ici une vision quelque peu simplette et statique des rapports entre les acteurs du débat et de la production du savoir, mais finalement assez représentative de ce que l’on attend naïvement du rôle de ces acteurs :

  • le journaliste : neutre et au fait des grands débats qui animent la société ; il est à même de poser les bonnes questions à ses interlocuteurs.
  • le politique : engagé et partial ; la défense de son idéologie l’entraîne à user de la rhétorique, du mensonge ou de la mauvaise foi à des fins électoralistes.
  • l’expert : impartial et compétent ; il fonde sa légitimité sur le travail scientifique. Il ne prend pas parti.
  • l’électeur : ignorant des grands enjeux du monde, il faut tout lui vulgariser.

L’expert (l’universitaire, l’intellectuel) et le journaliste sont placés au même plan, celui de l’objectivité impartiale et de la légitimité professionnelle. Le politique est suspect d’office ; c’est le roublard cynique qui défend des positions électoralistes. L’électeur (que l’on invite parfois à poser une question depuis les rangs du public) est la pauvre victime de la conspiration (une vision démagogique par excellence que relaie l’auteur du blog cité).

Et voici ma grille de lecture de la chaîne production du savoir idéologique. Elle est constituée de trois étapes :

  1. Le « ce qui est » : le diagnostic, donc le champ de l’expert, du savant, de l’universitaire et du journaliste de terrain.
  2. Le « ce qui devrait être » : à partir du diagnostic précédent, il présente un potentiel nouvel état de « bonne santé » – c’est la guérison du malade, ou résolution du problème.
  3. Le « comment passer de ce qui est à ce qui devrait être » : c’est le traitement à proprement parler ; il est constitué de nouvelles règles, normes ou lois. C’est donc le champ du politique, qui fait appliquer les mesures nécessaires, en respectant l’esprit du « ce qui devrait être » (l’objectif final).

Tout d’abord, je place donc l’universitaire (ayant abandonné l’idéologie) dans le même rôle que le journaliste de terrain : un acteur qui observe et témoigne du réel. Dans les sciences humaines et sociales, mais aussi dans les sciences du vivant, on retrouve un processus similaire au journalisme d’investigation : recueil de données et de témoignages (ce terme s’entendant au sens large, celui d’observations), récupération et croisement d’informations connexes, établissement de tendances générales, vérification, considération des éléments contradictoires et confrontation de ces contradictions avec la tendance générale observée (d’où l’on doit conclure aux limites du périmètre étudié et de sa représentativité), puis synthèse et publication. La rigueur du procédé doit être respectée scrupuleusement sous peine de rendre ce travail improductif. Factuel semble être le mot d’ordre.

Ensuite, le « ce qui devrait être » porte le caractère purement idéologique du procédé : c’est une vision et une proposition subjectives, fondées sur un ensemble d’observations objectives et généralisées de « ce qui est », qui constituent un système de valeurs subjectif qu’une société décidera ou non d’adopter et de poursuivre.

On entre donc enfin dans le domaine du choix politique. A partir des diverses propositions formulées par le « ce qui devrait être » s’organise le débat politique démocratique. Entrent en scène les politiciens et les électeurs. Le politique a pour profession d’adopter un courant idéologique et d’en faire la promotion auprès du plus grand nombre, au moyen d’arguments pédagogiques simples (et de préférence non simplistes) que l’on nomme vulgarisation ; il doit conquérir le pouvoir (remporter les élections, dans un système démocratique) pour être élu et pouvoir faire appliquer son idéologie au travers de lois et normes. L’électeur, quant à lui, dispose de l’ensemble des données nécessaires à un choix éclairé : vulgarisation politique, différences idéologiques, faits avérés et observations de terrain quantifiés.

L’homme objectif qui ne maudit ni n’injurie plus, comme le fait le pessimiste, le savant ‘idéal’ qui représente l’instinct scientifique parvenu à sa pleine floraison, après des milliers de demi-désastres et de désastres complets, est certes un instrument précieux entre tous, mais il faut qu’il soit dans la main d’un plus puissant que lui. Ce n’est qu’un instrument, disons un ‘miroir’, il n’est pas quelque chose par lui-même. L’homme objectif est en effet un miroir ; habitué à s’assujettir à tout ce qu’il faut connaître, sans autre désir que celui que donne la connaissance, le « reflet » — il attend qu’il se passe quelque chose, alors il s’étend doucement, afin que les plus légers indices et le frôlement des êtres surnaturels ne se perdent pas en glissant à la surface de sa peau.

– Nietzsche, Par delà le bien et le mal

 

Il faut noter (mais cela n’aura pas échappé à votre sagacité) que j’introduis la notion du « ce qui devrait être » sans y associer aucun acteur : journalistes et experts traitent de « ce qui est », politiciens et électeurs s’organisent sur les moyens de parvenir à « ce qui devrait être ».

D’aucuns diront : « ce qui devrait être est le fait du politique, la question ne se pose pas, puisque le politique tire sa légitimité du pouvoir qui lui est confié démocratiquement ». Je passe sur tous les biais possibles au niveau des relations politiques, que l’on ne constate que trop et qui donnent une image déplorable de la parole publique. Mais le politique est occupé à gagner les élections : la prise du pouvoir est un métier à plein temps, bien différent d’un travail intellectuel. Il s’agit de communication avant tout. Par ailleurs, il compose des programmes qui sont une succession de promesses de mesures : aucun vision d’ensemble ne s’en dégage, car en général, le politique est un gestionnaire agissant de manière tactique afin de résoudre des problèmes quotidiens. Comme l’écrit Thoreau :

[Hommes d’État et législateurs] parlent de changer la société, mais ils n’ont point de refuge hors d’elle. Peut-être sont-ils, dans une certaine mesure, hommes de jugement et d’expérience ; ils ont sans doute inventé des systèmes ingénieux et non sans valeur, ce dont nous les remercions sincèrement ; mais toute leur sagacité, toute leur utilité se cantonnent dans des limites bien étroites. Ils oublient aisément que le monde n’est pas gouverné par le système et l’opportunisme.

Les hommes politiques ne peuvent, par leur nature même, penser leur stratégie de conquête en dehors du système qui leur permet l’accession au pouvoir. Seul le révolutionnaire, qui déclare vouloir renverser la table, peut adopter une stratégie et un discours de conquête hors normes. Mais même au sein de la révolution, il y a division du travail : d’un côté, ceux qui pensent l’idéologie et écrivent les pamphlets, et de l’autre, ceux qui prennent les armes. Dans les équipes des partis politiques, il y a les hommes de la communication et de l’image et les hommes de l’ombre, les stratèges de la parole et de l’opinion, mais les deux travaillent pour la conquête du pouvoir – l’homme de l’ombre n’est pas idéologue, il ne produit aucun travail en ce sens. Demander au politique de travailler sur le « ce qui devrait être », c’est lui demander d’occuper son temps à autre chose, donc de changer de métier !

« Mais le politique peut s’appuyer sur les experts ! » me rétorque-t-on. De quelle expertise parle-t-on ? D’une expertise idéologisée ou d’une expertise objective ? Si c’est une expertise objective, elle ne dit que le « ce qui est ». Si l’expertise doit dire le « ce qui devrait être », alors on demande aussi à l’universitaire de changer de métier puisque, comme on l’a vu, il a été contraint (ou a sciemment choisi) d’abandonner l’idéologie.

 

Conclaves et nouvelles tentatives scientifiques

L’universitaire sait qu’une place est laissée vacante par ceux qui devraient produire le « ce qui devrait être ». Il se dit qu’il pourrait faire œuvre utile en employant les résultats son travail quotidien de spécialiste au profit d’un projet collectif rassemblant d’autres universitaires ayant la même ambition. C’est ainsi que se créent des conclaves internationaux de chercheurs qui pensent qu’en réalisant une synthèse de leurs travaux, ils parviendront à définir des alternatives, donc créer des « ce qui devrait être ».

Or, le biais initial et non assumé est que ces participants se rassemblent autour d’une idée commune préalablement partagée (quelle qu’elle soit) qui explique leur volonté de travailler ensemble. Ils veulent donc contribuer à quelque chose qui fait déjà consensus parmi eux. Ce consensus, c’est proprement le « ce qui devrait être ». Ils ne questionnent donc pas ce point, mais prendraient plutôt le rôle du politique, en essayant de créer les conditions permettant au « ce qui devrait être » d’être.

Par exemple, le Panel International sur le Progrès Social, qui regroupe des chercheurs de toutes disciplines afin de « repenser la société » ; ils postulent que :

Social scientists have never been so well equipped to provide an answer, thanks to the development of all the relevant disciplines since WWII.

(ma traduction : Les chercheurs en sciences sociales n’ont jamais été aussi bien équipés afin de fournir une réponse [pour une meilleur société], grâce au développement de toutes les disciplines appropriées depuis la seconde guerre mondiale)

Et qu’en outre :

If social sciences exist, is it not, precisely, because analyzing action, institutions, social relations, structures, can help to build a better world?

(si les sciences sociales existent, n’est-ce pas, précisément, parce que l’analyse des faits, des institutions, des relations sociales et des structures peuvent permettre de fonder un monde meilleur ?)

Ma réponse, c’est qu’en effet, les sciences sociales, parmi les autres savoirs, procurent des connaissances utiles à l’élaboration de structures nouvelles permettant de faire évoluer le monde (dans le bon sens, si possible…). Mais l’étude et l’analyse scientifique ne fournissent un aucun cas un matériel prêt-à-l’emploi définissant à la fois le « ce qui devrait être » et le « comment mettre en œuvre ce qui devrait être ». D’ailleurs, les membres de ce « panel sur le progrès social » travaillent sur un matériau qui ne fait pas partie du domaine de leurs recherches :

Le progrès social n’est pas une notion que l’on rencontre dans les écrits universitaires, mais il est omniprésent dans le débat public et l’imaginaire populaire, et l’objectif du Panel est d’apporter la contribution des experts des sciences sociales (économie, sciences politiques, sociologie, démographie, anthropologie, droit…) et des humanités (philosophie…) à la refondation de nos institutions et à la transformation de nos sociétés pour les rendre plus humaines et plus justes.

Il y a donc une contradiction apparente : ceux qui ne travaillent pas ce concept vont dire quelle politique doit être menée… pourquoi un chercheur serait à même de dire ce qu’est une société « plus humaine » et « plus juste » – sachant que ces concepts n’appartiennent précisément pas au champ de la recherche ? Serait-ce le retour d’un objectivisme scientiste qui voudrait s’imposer à la subjectivité politique ?

Une partie introductive va faire le point sur les grandes tendances de nos sociétés et sur les diverses définitions possibles d’une « boussole » du progrès social. Une première partie va examiner les aspects socioéconomiques : les inégalités, le développement urbain, les évolutions nécessaires de la croissance face au défi environnemental, les transformations de l’entreprise, du travail, du système financier, de l’Etat Providence, et le rôle du marché dans l’économie et la société.

L’introduction doit définir ce qu’est le progrès social : c’est un acte notoirement politique. Max Weber, dans Le Savant et le politique, écrit :

On présuppose […] que le résultat auquel aboutit le travail scientifique est important en soi, c’est-à-dire qu’il vaut la peine d’être connu. Or c’est ici que se nouent manifestement tous nos problèmes, car cette présupposition échappe […] à toute démonstration par des moyens scientifiques. Il n’est pas possible d’interpréter le sens dernier de cette présupposition, il faut simplement l’accepter ou la refuser, suivant ses prises de position personnelles, définitives, à l’égard de la vie.

Max Weber donne ensuite quelques exemples de ces présuppositions :

L’esthétique présuppose l’œuvre d’art. Elle se propose donc simplement de rechercher ce qui conditionne la genèse de l’œuvre d’art. […] Elle ne se pose donc pas la question : devrait-il y avoir des œuvres d’art ? […]

Ou encore l’exemple de la science du droit. Cette discipline établit ce qui est valable d’après les règles de la doc-trine juridique, ordonnée en partie par une nécessité logique, en partie par des schèmes conventionnels donnés ; elle établit par conséquent à quel moment des règles de droit déterminées et des méthodes déterminées d’interprétation sont reconnues comme obligatoires. Mais elle ne répond pas à la question : devrait-il y avoir un droit et devrait-on instituer justement ces règles-là ? […]

Prenons enfin l’exemple des sciences historiques. Elles nous apprennent à comprendre les phénomènes politiques, artistiques, littéraires ou sociaux de la civilisation à partir des conditions de leur formation. Mais elles ne donnent pas, par elles-mêmes, de réponse à la question : ces phénomènes méritaient-ils ou méritent-ils d’exister ? Elles présupposent simplement qu’il y a intérêt à participer, par la pratique de ces connaissances, à la communauté des « hommes civilisés ». Mais elles ne peuvent prouver « scientifiquement » à personne qu’il y a avantage à y participer.

La spécialisation du savoir universitaire, conjuguée à ces présuppositions, implique donc que la question du « pourquoi ? », ou du bien-fondé du sujet d’étude, ne se pose pas dans un cadre scientifique. C’est pourquoi les membres du panel « sur le progrès social », étant issus de ce milieu universitaire et de ses méthodes de travail, doit commencer par se poser la question du « progrès social » : tout comme la science présuppose l’intérêt du progrès scientifique (son aboutissement), la science sociale présuppose le progrès social, sans avoir discuté de ses finalités (pour quoi faire ?) ni de sa raison d’être (pourquoi ?) – ou de ses principes et de ses causes, dirait Aristote.

 

Ensuite, le développement des travaux du panel « sur le progrès social » propose divers axes d’analyses permettant de croiser des problématiques variées ; mais il ne s’agit rien de plus que de synthétiser des travaux existants – c’est un colloque de chercheurs qui produit son livre blanc, en quelque sorte…

Une partie conclusive va tirer les principales conclusions et recommandations d’ensemble et aussi examiner comment les sciences sociales et les humanités elles-mêmes peuvent se réformer pour mieux contribuer au débat public et à l’amélioration des sociétés.

La conclusion propose d’aboutir sur une vision englobante ; cette démarche reconnaît donc la nécessité de sortir de la spécialisation pour aller vers la généralisation et la transversalité : c’est par conséquent une autre pratique, un autre métier que celui du chercheur spécialisé dans sa discipline.

Elle envisage aussi de fournir des pistes pour la réforme des sciences sociales et des humanités. Étrange, on nous disait juste avant que les chercheurs en sciences sociales n’avaient jamais été aussi bien équipés… Pourquoi auraient-elles alors besoin de se réformer ? Parce que ces chercheurs comprennent que leur manière de travailler n’est pas adaptée à la vocation qu’ils souhaitent se donner. Et c’est normal, puisqu’ils travaillent sur le « ce que c’est », ce qui est absolument nécessaire : ils doivent rester à leur très utile place de fournisseurs de matériaux bruts. Ce n’est pas une réforme de leur part qui est nécessaire, c’est le retour de l’intellectuel total, de l’honnête homme, de la figure des Lumières.

Une idée-force qui va émerger de ce travail collectif et global va être particulièrement pertinente pour renouveler le débat franco-français sur le « marasme » ou le « déclin » de notre économie et de notre société. Il s’agit du fait qu’il n’y a pas d’opposition entre la gestion des crises du moment (chômage, compétitivité, dette publique, stabilité bancaire et financière, dialogue social, migrations, zone Euro, terrorisme, insertion de l’Islam) et la recherche d’une vision de long terme d’une meilleure société. Il est contreproductif de repousser le « progrès social » à une époque future plus prospère où les fondamentaux de l’économie auraient retrouvé un niveau satisfaisant. Au contraire, c’est précisément la définition d’un projet collectif de long terme qui peut nous redonner l’élan nécessaire pour traiter les défis du jour.

Sartre (dans Qu’est-ce que la littérature ?) n’écrit pas autre chose quand il parle de l’engagement de l’écrivain du XVIIIe siècle :

[…] cette heure-ci, qu’il est en train de vivre et qui fuit, […] il sait qu’elle est sa chance et qu’il ne faut pas qu’il la laisse perdre ; c’est pourquoi il n’envisage pas tant le combat qu’il doit mener comme une préparation de la société future que comme une entreprise à court terme et d’immédiate efficacité. […] Ce sens passionné du présent le préserve de l’idéalisme : il ne se borne pas à contempler les idées éternelles de la Liberté ou de l’Egalité : pour la première fois depuis la Réforme, les écrivains interviennent dans la vie publique, protestent contre un décret inique, demandent la révision d’un procès, décident en un mot que le spirituel est dans la rue, à la foire, au marché, au tribunal et qu’il ne s’agit point de se détourner du temporel, mais d’y revenir sans cesse, au contraire, et de le dépasser en chaque circonstance particulière.

L’article sur le panel sur le progrès social poursuit :

C’est en redéfinissant un projet réellement inclusif, de long terme, que l’on peut gérer les transitions difficiles et faire accepter des sacrifices provisoires à certaines parties de la population[…]

Contrairement à ce que l’on croit, les élites les plus éduquées ne sont d’ailleurs pas opposées à la solidarité, mais l’absence de vision de long terme et de projet global favorise les replis égoïstes sur les intérêts immédiats.

C’est précisément ce pourquoi l’utopie est une nécessité : visualiser une trajectoire « inclusive », décrire le monde tel qu’il serait, et par conséquent, trouver les bonnes volontés capables de consentir aux efforts nécessaires pour réaliser ce projet.

 

Le retour nécessaire de l’intellectuel total

Finalement, donc, le « ce qui devrait être » relève du domaine de l’intellectuel total, car l’universitaire cantonné à son domaine ne peut affirmer de solutions qu’en ayant une vision partielle, donc insuffisante et inadéquate. C’est l’impasse du marteau que décrit Maslow (un autre exemple ici, avec la citation en fin d’article) : comme un militaire aura tendance à vouloir régler un problème avec les armes, un sociologue voudra le faire avec la sociologie, un économiste avec l’économie, un historien avec des analogies historiques, un géographe par l’étude des territoires, etc…

Donc, le travail du généraliste (qui ne peut pas être omniscient) doit se fonder sur ces informations brutes délivrées par le monde universitaire et journalistique, en espérant qu’elles soient les plus fiables et neutres possibles (c’est-à-dire sans biais ou marquage idéologique), donc prendre des raccourcis, évaluer les conclusions, et ce faisant, essayer de contrer les aléas que cela engendre, comme des prises de position trop subjectives, trop abruptes ou trop rapides.

Cela impose de faire table rase, puis d’aller contre soi, contre sa propre pente. Être un traître à sa classe, ne plus être ni se reconnaître en aucune classe, telle est la posture de l’honnête homme. C’est toujours rechercher l’équilibre (donc faire acte de liberté envers soi-même) : être dans sa discipline intellectuelle une force de contre-balancier, c’est-à-dire être mouvant pour rétablir un rapport de forces homogène. Se faire l’avocat du diable – car le diable n’existe que pour l’ignorant.

Sartre (même ouvrage) :

Comme l’écrivain croit avoir brisé les liens qui l’unissaient à sa classe d’origine, comme il parle à ses lecteurs du haut de la nature humaine universelle, il lui paraît que l’appel qu’il leur lance et la part qu’il prend à leurs malheurs sont dictés par la pure générosité. Écrire, c’est donner. C’est par là qu’il assume et sauve ce qu’il y a d’inacceptable dans sa situation de parasite d’une société laborieuse, par là aussi qu’il prend conscience de cette liberté absolue, de cette gratuité qui caractérisent la création littéraire. […]

Il conçoit la littérature comme l’exercice permanent de la générosité. […] Ses livres sont de libres appels à la liberté des lecteurs.

 

Mais d’aucuns doutent du retour possible de cette figure. Elle est pourtant tout ce qui manque cruellement, et qui provoque le vide de sens auquel nous sommes aujourd’hui confrontés. Membre fondateur du Panel sur le progrès social, le sociologue

Michel Wieviorka […] nous exhorte […] à retrouver le sens de quelques « valeurs universelles », pour redéfinir la direction que nous voudrions donner à notre société à long terme. Jadis une telle vision englobante était offerte par les « grands intellectuels » […]

Un espace s’ouvre pour la formation de nouvelles figures de l’intellectuel (…), individuelles ou collectives, qui sauront incarner le réenchantement des valeurs universelles tout en produisant le grand écart qui permet, dans un même mouvement, de penser global et de s’intéresser à la subjectivité des personnes singulières.

Mais ces figures n’osent plus se dévoiler : après les derniers dinosaures soixante-huitards, quelle relève ? Pourquoi ce magistère d’une génération ? Errements et trahisons, chemins égarés, voilà ce qu’ils ont laissé en héritage ; voilà pourquoi on a abandonné la figure de ceux qui nous ont abandonnés.

Philippe Bilger nous l’assure, l’intellectuel total n’existe plus, et ne peut plus exister :

Les philosophes, si on admet qu’il en existe encore, relèvent d’un monde où les concepts, les idées, les conceptions de vie, les visions de la société et de l’humain, l’interrogation du savoir constituent la part exclusive de la réflexion et n’ont pas d’autre finalité que d’aboutir à une lumière nécessaire au penseur avant éventuellement de favoriser la lucidité des autres, de son prochain. […]

Si hier, indiscutablement, des Sartre, Michel Foucault, Albert Camus répondaient à cette logique globale de l’universel parce qu’ils étaient à peu près remarquables sur tous les plans de l’activité de l’esprit […], qui de bonne foi pourrait soutenir qu’actuellement nous ayons une polyvalence digne de ce nom ?

Le philosophe est le généraliste, qui fait le lien et produit le sens ; il synthétise le « ce qui est » en autant de problématiques qu’il traite au travers d’une réponse systémique – le « ce qui devrait être ».

Mais le problème de l’intellectuel, c’est, aujourd’hui comme autrefois, de se faire entendre. Mais autrefois, il y avait les livres et le néant. Il suffisait d’ingéniosité pour faire percer une idée. Ainsi, le pari pascalien fait-il passer pour un jeu la question fondamentale de la croyance en Dieu. Et cela porte suffisamment dans son temps et dans l’Histoire pour qu’on se le remémore. Aujourd’hui, le bombardement d’informations, l’infotainment est tel que la lecture n’est plus cet acte entre esprits libres et exigeants l’un envers l’autre que décrit Sartre. Je dirais ceci :

Le problème, ce n’est pas que nos contemporains n’ont pas le loisir de lire (ce qui a longtemps représenté un problème et a contribué au maintien de l’ignorance des peuples), c’est qu’ils n’ont plus que le loisir – tout est divertissement.

Régis Debray a récemment déclaré :

Le problème, c’est le faire-savoir. Sous une pluie d’images, les mots patinent. Si un bon esprit veut avoir de l’influence sur ses contemporains, et c’est ce projet qui définit l’intellectuel, mieux vaut pour lui se faire voir que se faire lire. Quitter le stylo pour le face-caméra. Il y faut un talent qu’ont rarement les hommes d’étude. La vidéosphère a changé la donne. L’intello, pour survivre, doit devenir une vedette de l’audiovisuel. C’est assez humiliant.

Par conséquent, il y a confusion avec le politique : la présence médiatique et la proximité avec les électeurs, qui est l’affaire du politique, devient par contrainte l’affaire de l’intellectuel, dont ce n’est pas la fonction et qui ne dispose pas des compétences requises, faute d’avoir le temps à consacrer ni l’intérêt pour les développer. Bilger écrit d’ailleurs :

Cette autarcie n’interdit pas de publier mais je crois que cet acte de publication est moins gouverné par l’envie à toute force de faire connaître que par le souci d’éprouver ce qu’on a élaboré au feu d’autres pensées qui pourraient être contraires. A tort ou à raison je perçois le philosophe dans son essence comme une personne qui non seulement fuit le débat public parce qu’il serait vulgaire et superficiel mais n’est pas loin de considérer que s’y impliquer distingue le véritable philosophe du bateleur. Pour le premier il n’est de salut que dans une permanente confrontation avec soi quand le second n’éprouve que l’obsession de s’évader de soi pour rejoindre le tumulte des choses et « la lie » médiatique.

Le bateleur médiatique, l’invité des plateaux télé, devient alors la figure de l’intellectuel, sans en avoir aucune des qualités requises.

Mais puisque l’intellectuel est engagé dans le présent autant que dans l’universel, il ne peut se soustraire à une forme de médiatisation, contre son gré. Se pose alors la question de savoir comment atteindre son auditoire – mais avant cela, encore faut-il avoir quelque chose de significatif à dire !

Une réflexion sur « Positionnement par rapport au travail universitaire »

  1. Tu parts du principe que le système d’enseignement (qui n’a rien d’éducatif) (pourtant il y a inscrit Éducation Nationale dessus, c’est qu’à l’origine il devait y avoir un rapport) devrait offrir des perspectives de sens à la société. Oui, devrait, mais c’est pas du tout le cas ici où il n’a lieu d’être que pour perpétuer la hiérarchie de classe. (partant de là il n’y a plus aucune incohérence à l’attitude des universitaires qui maintiennent leur conatus fonction de leur habitus, et ils ne sont pas un cas isolé).

    Tu parles ensuite de « la société démocratique » et de « débat politique démocratique », il n’y a pas de démocratie ici, il n’y en a jamais eu.

    Tu dis enfin, et ce sera le dernier point que je relèverai, que pour être un intellectuel total il faut « Être un traître à sa classe, ne plus être ni se reconnaître en aucune classe » ; le prolétariat se fait fort dés lors de n’avoir que des intellectuels totaux.

    (ce que je nomme prolétariat est la part de citoyens opposés à l’immoral, et comme je suis un moraliste -puisque je crois que le fondement de la société est la morale- je poursuivrais en disant que c’est la part d’humanité qui la rend humaine, en conséquence de quoi j’affirmerais que ne plus vouloir être et ne plus se reconnaître dans l’humanité est une idiotie)

    Je suis un intellectuel, tout court, un philosophe autodidacte autoproclamé et je ne crains ni l’onanisme, ni de ne pas être lu, ni de ne pas aboutir à la lumière, et je ne cherche pas d’équilibre ou d’homogénéité, là où il ne peut y en avoir.

    Le diable n’existe peut-être pas, le mal si, on ne peut l’ignorer.

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