Archives de catégorie : Politique

Rétablir et revaloriser la parole publique

Au grand jeu des promesses non tenues, les hommes politiques ont toujours obtenu les premières places. Pourquoi les blâmer ? Leur profession consistant à gagner le pouvoir, ils se sont emparés d’un des plus efficaces stratagèmes permettant d’arriver à leurs fins. Henri Queuille a déclaré :

Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent.

Ceux qui les écoutent, ou ceux qui y croient : les électeurs. Le clientélisme est toujours une arme puissante, qui permet aux escrocs de toute espèce de prolonger encore pour quelques années leur sursis. Le politicien a bien compris que flatter l’électeur dans le sens du poil valait mieux (pour sa propre carrière) que de lui dire ses quatre vérités.

Pourtant, tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise. Il est ainsi amusant d’observer les politiciens poser cette question rhétorique : « mais qui fait le lit du Front National ? » Ils espèrent une dernière fois pouvoir s’en tirer à bon compte, blanchis de leurs mensonges.

On n’en aurait eu que faire, au fond, de ces mythomanes professionnels, s’ils ne s’étaient salis qu’eux-mêmes. Mais leur cynisme sans bornes a provoqué un séisme plus profond : désormais, c’est la parole publique, ou le débat public, qui est devenu suspect. On n’y croit plus. Ceux qui vivent de la politique ont fini par abattre à la fois ceux qui vivaient pour la politique (par conviction), et la politique elle-même, à travers l’impossibilité du débat public.

Or, renouer avec la possibilité du débat public, c’est renouer avec la capacité de faire à nouveau de la politique. Une politique véritable s’entend, c’est-à-dire exigeante envers ses acteurs (les citoyens : hommes politiques comme électeurs) et apte à provoquer l’émergence d’une pluralité d’opinions et de propositions systémiques concrètes fondées sur un savoir scientifique le plus objectif possible.

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Charlie Hebdo : comment peut-on être irresponsable ?

Charlie Hebdo se déclare « journal irresponsable ». Mais comment peut-on se dire irresponsable lorsque l’on aborde des sujets éminemment sensibles et politiques ? Je ne cherche pas à répondre ici à la question du bien fondé de telle ou telle caricature, mais uniquement à la question de la responsabilité dans l’expression publique.

Charlie Hebdo responsable ?
Charlie Hebdo responsable ?

Comme si le fait de se déclarer « irresponsable » ouvrait la voie à tout et n’importe quoi. Ainsi, il serait facile de tout accepter : on pourrait tout dire, tout écrire, tout dessiner, etc… en faisant par avance sa déclaration d’irresponsabilité.

Pourquoi pas, après tout ?

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Positionnement par rapport au travail universitaire

Ceux qui parviennent au statut d’enseignant universitaire n’imaginent même pas qu’une évolution politique puisse avoir le moindre effet sur leur carrière ; ils se sentent absolument intouchables.

– Houellebecq, Soumission

Cette phrase est représentative de la qualité de la production de Houellebecq : elle ne dit pas grand chose, ou elle en dit énormément. Le lecteur doit faire le boulot, car Michel est déjà passé à autre chose. En lisant en écrivant, suivons donc une devise de Gracq !

Sûrement ont-ils raison, ces universitaires parvenus, de ne trop rien craindre. A moins que cette évolution politique ne soit d’une ampleur telle qu’elle mette fin à l’Etat de droit républicain, mais même dans ce cas, ce n’est pas la carrière de l’universitaire qui serait remise en cause (on lui demanderait quelques ajustements, on supprimerait des bibliothèques certains ouvrages…). C’est sur un plan privé que les véritables changements auraient lieu : il ne faudrait pas avoir la « mauvaise » couleur de peau ou la « mauvaise » religion… Car même les nazis, grands brûleurs de livres, n’ont pas eu à l’égard du milieu universitaire d’attitude si belliqueuse. Dans leurs « 12 propositions contre l’esprit non-allemand », ils demandèrent « simplement » une nouvelle discipline ; extraits :

6. Nous voulons éradiquer le mensonge, nous voulons marquer la trahison au fer rouge, nous voulons que les étudiants se trouvent non pas dans un état d’ignorance, mais de culture et de conscience politique.

8. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à apprendre et à faire des choix de façon autonome. [une autonomie bornée, donc…]

10. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à triompher de l’intellectualisme juif et de ses chimères libérales sur la scène intellectuelle allemande.

11. Nous exigeons que les étudiants et les professeurs soient sélectionnés en fonction des garanties qu’ils présentent de ne pas mettre en danger l’esprit allemand.

12. Nous exigeons que les facultés soient le sanctuaire de l’identité allemande et le lieu d’où partira l’offensive de l’esprit allemand dans toute sa puissance.

On le constate, l’universitaire, même au sein d’idéologies totalitaires (et peut-être surtout en leur sein) dispose de rôles considérables à jouer. Celui de gardien du sanctuaire d’abord. Évocation du sacré de la nation (« l’esprit allemand »), ou nationalisme, qui est donc bien une religion parmi d’autres. Mais aussi celui du conquérant : car toute idéologie a besoin de prosélytes lettrés capables de défendre et justifier doctement ce qui ne relève, in fine, que de la croyance subjective – et de supplanter d’autres pensées ou croyances (« l’intellectualisme juif et ses chimères libérales », dans le cas nazi).

Mais quel universitaire d’aujourd’hui ne s’exclamerait : « c’est de l’idéologie nazie ! Et mon travail est scientifique : j’observe le réel d’un œil rationnel et désintéressé. La notion même d’idéologie est néfaste, non-scientifique, abandonnée, non-sérieuse : c’est du passé! »

Pourtant il faut bien se la poser, cette question de l’idéologie ! D’une part pour confronter l’objectivisme, et d’autre part pour être capable de reconquérir le sens de l’Histoire.

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Le complexe Complexe Militaro-Industriel (CMI)

Le désarmement, dans l’honneur et la confiance mutuels, est un impératif permanent. Ensemble nous devons apprendre à composer avec nos différences, non pas avec les armes, mais avec l’intelligence et l’honnêteté des intentions.

– Dwight Eisenhower, 34e Président des USA (1953-1961), discours d’adieu, 17 janvier 1961

C’est ainsi qu’un président américain, dont l’exceptionnelle carrière militaire fut consacrée par le commandement de l’opération Overlord (Bataille de Normandie) qui libéra la France et conduit à la capitulation allemande, un général cinq étoiles (« General of the Army »), puis chef d’Etat Major de l’US Army, et enfin commandant suprême de l’OTAN, c’est ainsi donc qu’un ex-militaire haut gradé, chef de la première puissance mondiale, fit ses adieux au public : en prônant le désarmement et la paix d’une part, et en avertissant sur les risques encourus par le développement sans précédent du complexe militaro-industriel aux Etats-Unis :

Cette conjonction d’une immense institution militaire et d’une grande industrie de l’armement est nouvelle dans l’expérience américaine. Son influence totale, économique, politique, spirituelle même, est ressentie dans chaque ville, dans chaque Parlement d’Etat, dans chaque bureau du Gouvernement fédéral. Nous reconnaissons le besoin impératif de ce développement. Mais nous ne devons pas manquer de comprendre ses graves implications. Notre labeur, nos ressources, nos gagne-pain… tous sont impliqués ; ainsi en va-t-il de la structure même de notre société.

Mais qu’est-ce que ce fameux complexe militaro-industriel (CMI) ?

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Hollande, ce fier vendeur d’armes

Parfois, on peut avoir l’impression de vivre sur une autre planète. C’est mon cas, quand j’entends parler des contrats mirobolants passés par Hollande pour la vente des avions de guerre haut-de-gamme de Dassault (les Rafale), de satellites de surveillance ou d’autres instruments de guerre (hélicoptères, frégates, navires Mistral initialement destinés à la Russie, missiles) à l’Égypte, à l’Inde, au Qatar, au Koweït, aux Emirats Arabes Unis ou encore (et surtout) à l’Arabie Saoudite. Une auto-satisfaction cyniquement neutre est, comme toujours dans le monde des affaires, de mise :

Selon un rapport du ministère de la Défense publié mardi […] « Ce résultat constitue la meilleure performance à l’export de l’industrie française de défense depuis quinze ans ». […]

Il est d’autant plus remarquable qu’il a été obtenu sur un marché difficile, caractérisé à la fois par une contraction de la demande (notamment en Europe et aux Etats-Unis) et une concurrence particulièrement vive du côté de l’offre », ajoute-t-il.

Cette tendance devrait se confirmer en 2015 après la signature en février d’un contrat pour la fourniture de 24 avions de combat Rafale à l’Egypte et d’un autre en mai pour la livraison de 24 appareils de même type au Qatar.

Forte de cette « dynamique d’augmentation de ses parts de marché », la France est ainsi « solidement établie dans la durée » au quatrième rang des exportateurs mondiaux d’armement derrière les Etats-Unis et la Russie, la Chine tendant à s’installer au 3e rang.

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Des nouvelles de l’Afrique

On nous bassine à longueur de temps que l’Afrique est le nouvel Eldorado, la nouvelle frontière, le futur de la croissance mondiale et autres grandes idées. Je souhaitais, pour les béats de la croyance en la croissance infinie et au progrès civilisationnel occidental à sens unique, énoncer quelques faits.

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Robert Ménard : statistiques ethniques en ridicule

Petite agitation habituelle dans le Landerneau politique : cette fois, il s’agit du méchant, mauvais, horrible, atroce, frontiste, fasciste Robert Ménard qui dirige d’une main de fer cette pauvre ville de Béziers.

Mais rendez-vous compte ! Les fantômes du passé ressurgissent, la bête immonde revient ! Voilà-t’y-pas qu’on compte les gens, dans le Sud de la France ! Et pour quoi faire ? C’est évident, pardi ! De la déportation, de l’extermination de masse ! Ces gens-là sont comme ça, ils seront toujours possédés par leurs instincts de mort !

Si seulement le ridicule pouvait tuer !

A chaque fois que j’entraperçois ce genre de tirades rocambolesques, je me remémore exactement la fin du superbe Croix de Fer (Cross of Iron) de l’excellent Sam Peckinpah : le rire hystériquement moqueur de James Coburn et la citation finale de Bertolt Brecht, en lettres de sang :

Don’t rejoice in his defeat, you men. For though the world stood up and stopped the bastard, the bitch that bore him is in heat again.

(ma traduction : ne vous réjouissez pas de sa défaite, vous autres. Car même si le monde s’est dressé pour en finir avec le bâtard, la salope qui lui servit de mère est de nouveau en chaleur.)

James-Coburn-Cross-of-Iron
Rolf Steiner (James Coburn) – un mec à qui on ne la fait pas

 

Mais de quoi parle-t-on, au juste ?

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Tsipras : leçons d’opportunisme

On continue (jusqu’à quand ? la prochaine scène…) avec la tragi-comédie grecque ! Après des débuts hautement prometteurs, l’ensemble de la troupe remet le pied à l’étrier pour nous livrer une seconde charge de rires et de larmes.

Mais il semble que parmi cette bande de guignols, il en est un qu’on avait sous-estimé et qui revient pour voler la vedette : c’est Alexis Tsipras !

Pour montrer qui c’est le patron, il entonne un hymne à sa légende :

Je suis pour le communisme

Je suis pour le socialisme

Et pour le capitalisme

Parce que je suis opportuniste

Jacques Dutronc, L’Opportuniste (live 1992)

Car Tsipras en est un beau ! De l’espèce d’opportuniste politicien la plus cynique qui soit !

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De l’autonomie des individus

Une société où tout le monde pourrait vivre dignement, sans assistanat ni paternalisme, est à portée de main.

– Gaspard Koenig et Marc de Basquiat, conclusion du rapport « LIBER, un revenu de liberté pour tous »

Ça alors ! La dignité pour tous, à portée de main ! Sans assistanat ni paternalisme, de surcroît ! L’autonomie, que dis-je, la liberté ! Où dois-je signer ?

Mais par méfiance, je vais malgré tout tenter de comprendre de quoi il s’agit. Le LIBER (« revenu de liberté pour tous » : quel magnifique slogan !) est un impôt négatif. J’ai déjà abordé la question du revenu de base (ou universel) et de sa conception sociale (qui signerait la fin du travail contraint).

A travers la vision de Koenig et de Basquiat, j’ouvre le versant soi-disant « libéral » du sujet – que je préfère qualifier, disons-le tout de suite, de pseudo-libéral de droite dure, caché derrière « les meilleures intentions du monde », cela va de soi !

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